Ensemble, c’est toujours mieux, par Christiane Koberich
Piste d'écriture: Celle qui est revenue, les réconciliations.
C’était quand même une drôle de famille ! Une famille nombreuse. Une famille de six enfants, de quatre ans à douze ans ; plus leurs parents. Des enfants sages et bien élevés, disait-on, et leurs parents en étaient fiers.
Ils restaient rarement enfermés toute une journée dans l’appartement (sauf les jours de pluie) : les plus grands allaient à l’école, les petits sortaient l’après-midi au parc de jeux avec leur maman ; et le dimanche la famille partait en voiture à la campagne, à la plage ou chez des cousins. On les entendait à peine, dans l’immeuble, nul ne se plaignait d’eux.
Pourtant qui dit « enfant » dit aussi (ou pense) disputes, jalousies, chamailleries, rivalités, bouderies… Et vu de l’intérieur c’était bien ce qui se passait entre eux, mais en alternance avec des moments de bonne entente, de jeux, de rigolades ; des moments où ils s’unissaient pour inventer un peu n’importe quoi, comme par exemple transformer une de leurs chambres en château, ce qui pour eux ne pouvait se réaliser qu’en plongeant la pièce dans un incroyable chaos où plus personne ne retrouvait ses repères… Et surtout pas leur mère qui, à la découverte d’un tel désordre, perdait presque son souffle, ne voulait pas entendre parler d’un quelconque château, et ne savait plus quelle sanction imaginer pour exiger d’eux qu’ils rangent la chambre comme ils l’avaient trouvée.
Très solidaires, aucun des enfants, même parmi les plus petits, ne dénonçait celui ou celle qui avait eu l’idée d’un tel jeu ; celui ou celle qui avait dit que les draps seraient des tentes et des maisons, et les chaussures de toute la famille, des limites de jardins…
Alors, de même qu’ils savaient être unis pour jouer, ils l’étaient aussi pour tout remettre en ordre, ou dans un certain ordre. Les aînés dirigeaient les opérations ; les plus jeunes faisaient ce qu’ils pouvaient. Et leur mère, lorsqu’elle venait « faire l’état des lieux », consciente de leur bonne volonté et même en sachant que la touche finale lui revenait, levait les menaces et les sanctions promises.
Cette faculté à être ensemble et le plaisir qu’ils en avaient, soit pour éviter de s’ennuyer, soit pour s’entraider, leur permettaient de s’évader parfois d’une réalité qui les dérangeait.
Et il leur arrivait souvent de se réunir autour d’une des sœurs, du milieu de la fratrie, une sœur qui avait beaucoup d’imagination, inventait toutes sortes d’histoires, et surtout racontait bien.
Il suffisait par exemple que leurs parents les grondent, ou leur imposent un projet dont ils ne voulaient pas, pour que la sœur conteuse, auprès de qui certains étaient venus se plaindre, les accueille, les écoute, et transforme la réalité en une autre possibilité bien plus attrayante, d’autant qu’elle la construisait au fur et à mesure de leurs désirs. Par exemple : « Alors on partirait dans une grande voiture »… « Oh ! Non ! Pas une voiture, contestait l’un d’eux… Un bateau, plutôt. » Et si le bateau faisait consensus, l’idée était adoptée. Ou bien : « On irait en Afrique, ou en Chine, ou chez les Esquimaux », et ils finissaient par tomber d’accord pour une destination. De même lorsqu’ils trouvaient que leurs parents avaient été injustes, « pas gentils », pas d’accord, ou autres, ils s’inventaient ensemble d’autres parents plus permissifs, « qui ne disaient pas toujours non » ; bref, des parents parfaits…
Ainsi, à travers le jeu où chacun avait une place, et les histoires qu’ils s’inventaient qui finissaient toujours bien, les six enfants consolidaient leurs liens. Certes, ils se chamaillaient encore souvent mais sans jamais cesser d’être unis.
Copyright: Christiane Koberich, 5 mars 2025
Photo de Rene Bernal sur Unsplash