La Fantasy n’est pas celle que l’on croit : un genre décrypté

Qu’est-ce que la Fantasy ? Dans le monde anglo-saxon qui l’a vu naître, ce terme englobe les trois genres littéraires de l’imaginaire alors que nous parlons de SFF : Science - Fiction, Fantasy, Fantastique. Les Anglais appellent d’ailleurs ce dernier : low fantasy. En France, les romans de Fantasy se sont longtemps rangés au rayon jeunesse des grandes maisons d’édition ou des librairies. La raison ? Parce qu’elle traite du merveilleux, de la magie, réservé aux contes ou aux mythes. Les elfes, les dragons ou autres créatures surnaturelles sont destinés à distraire les enfants. Or, ce genre littéraire refuse, depuis sa création, les cadres tout comme ses auteurs, ses éditeurs ou ses lecteurs. Depuis vingt ans et avec l’essor des autres médias, les adultes reprennent le chemin d’Oz. La Fantasy transcende les générations, les cultures, les peuples ou les personnes. Il nous parle de notre rapport au monde quand la littérature générale reste plus intimiste.

La suspension d’incrédulité : étape indispensable pour le lecteur de l’imaginaire

Avertissement : cher lectorat, cet article traite de la Fantasy. Il faut y entrer sans préjugé, ni amusement, ni moquerie d’aucune sorte. Genre multimédiatique, elle imprègne la culture contemporaine sur divers supports et croît à chaque nouvelle création. Elle se joue sur un plateau, sur ordinateur, se lit avec ou sans images, s’écoute aussi, se regarde sur petit comme sur grand écran. Elle est partout dans les romans, les séries télévisées, le cinéma, et le jeu.

D’aucune façon, cette aventure du merveilleux ne se prend à la légère. C’est pour cela que je t’invite à comprendre LA chose la plus importante quand on aborde ce genre littéraire, mais pas seulement. C’est aussi un acte de foi, oui rien que ça. Tu croiras donc au surnaturel, à la magie, aux créatures et aux mondes fantastiques.

Le lecteur passe ce pacte avec l’auteur, le ou les créateurs. Il oublie les lois de la physique ou le réel pour accepter (avec bonheur) de se retrouver propulsé dans un univers où les règles ne sont pas les mêmes que les nôtres, voilà la clef de la Fantasy.

La Fantasy fait face à nos démons : le monstre

Le monstre n’est pas celui que l’on croit pour reprendre notre titre. Aux origines de la Fantasy, orcs, gobelins et dans une certaine mesure dragons se partagent le rôle. Les auteurs jouent avec les archétypes de personnages brutaux, primitifs, sanguinaires et de peau à couleur, disons suspecte pour les Caucasiens.

Ainsi pendant longtemps, le monstre reste l’autre qui n’est pas comme nous. Mais en Fantasy, on aime la différence, le contre-pied. Depuis les années 1970, l’altérité se rebelle.

Les dragons créatures intelligentes, mais quand même cruelles dans bien des récits changent de paradigme avec le monde moderne. Ils deviennent séduisants, empathiques. Dans La Ballade de Pern par exemple qui mélange SF et Fantasy, des dragons descendants de lézards de feu protègent le monde en harmonie avec leurs cavaliers humains.

Dans ses sagas, Robin Hobb en fait des créatures mal connues et exploitées avec cruauté par les hommes. Ils symbolisent la magie de la nature, la société comme elle était avant que les humains ne la détruisent. Le monstre n’est plus la créature, mais bien l’être humain. Il incarne dès lors le retour aux sources auquel la Fantasy aspire.

Les orcs aussi ont leur revanche. Des légendes et une culture orque apparaissent avec les mondes fictifs de WOW ou Dungeon & Dragons. Très récemment, dans le genre littéraire de la cosy-fantasy, un roman met en scène une orque mercenaire qui se reconvertit en barista.

Ses difficultés liées à sa nouvelle profession ne viennent pas seulement d’un tempérament impulsif qu’elle tente de réfréner. Des humains jaloux voudraient l’empêcher de réussir son entreprise, à savoir ouvrir un café.

Celle qui parle le mieux des monstres se nomme la Dark Fantasy. Cette branche dialogue avec notre côté sombre d’êtres imparfaits. La Compagnie noire, cycle littéraire bien connu de ce style littéraire (plaisant oui, oui, qu’il est bon d’être un monstre) traite des méchants, des vilains et en fait des héros ou plutôt des antihéros.

Dans cette fameuse Compagnie noire, on suit une armée de mercenaires sanguinaires qui viole, tue et égorge. Et qu’arrive-t-il ? On ne s’y attache pas parce que nous sommes des Dark-Vador en puissance, mais plutôt parce que le monstre en eux nous parle à nous aussi. Comme nous suivons les personnages dans leur vie quotidienne, nos émotions se reflètent dans les leurs. Le monstre c’est eux, c’est nous.

Intertextualité de la littérature de l’imaginaire en Fantasy

L’intertextualité a été abordée en 1969 par Julia Kristeva (Sèméiôtikè, 1969), puis reprise ensuite. Ce concept met en lumière l’interaction entre les textes. En fiction, il souligne la mise en miroir des histoires de Fantasy entre elles. Chaque nouvelle intrigue s’écrit avec des codes empruntés :

  • au merveilleux des contes ;
  • aux grandes légendes et épopées (Gilgamesh, les Chevaliers de la Table ronde) ;
  • aux mythologies et mythes (les archétypes et constructions comme la quête initiatique par exemple) ;
  • à tous les autres récits de l’imaginaire sans oublier les plus contemporains, etc.

Ce sont autant de bases, de pierres disaient Tolkien, pour articuler des histoires inédites, bâtir des univers originaux à chaque fois.

Cette littérature de l’imaginaire, tout comme les autres médias qui s’en emparent, s’appuie ainsi sur l’ancien pour faire du neuf avec brio. Son patrimoine se partage sans s’amoindrir, au contraire, il grandit. La preuve en est la multiplication de ses branches : l’Héroic-Fantasy une de premières, l’Urban-fantasy, la Bit-lit, le Steam-punk, etc.

Cette faculté à travailler sur des schémas connus en les réinventant implique de savoir innover, créer, ajouter les nuances de l’époque ou du créateur, mais aussi de jouer avec ces codes. De ce fait, la parodie, l’autodérision de ce genre par ses propres créateurs n’est jamais loin. L’auteur Terry Pratchett en est un exemple célèbre.

La Fantasy écrit avec sérieux sans jamais se prendre au sérieux. Cette capacité montre bien qu’elle s’interroge autant qu’elle interroge le monde qui nous entoure. Et c’est bien comme cela qu’elle est née.

Qu’est-ce que la Fantasy ? Un questionnement constant sur le monde

Le merveilleux n’est absolument pas facile ou puéril comme nous le rappelle Anne Besson dans sa conférence pour la BnF. Tolkien lui-même disait que les « faërie » ne sont pas un jeu d’enfant et si vous lisez l’ouvrage du même titre de R. Feist, vous comprendrez. Ces créatures sont malicieuses, roublardes et cruelles. Elles n’ont aucun scrupule. D’ailleurs, étymologiquement, le mot malice en anglais possède une nuance plus sombre qu’en français.

Aimer la Fantasy ou l’imaginaire c’est garder son âme d’enfant, certes, mais dans le sens de préserver sa capacité d’émerveillement et de remise en cause du monde dans lequel nous vivons : le fameux « pourquoi » des petits qui fatiguent tant de parents.

Le regard de l’enfant interroge, pointe les douleurs, les maux d’une société qui ne sait qu’en faire. La Fantasy excelle en cela, mieux elle l’expérimente dans chaque ligne de mots. Bans et Barricades de Clément Bouhélier traite par exemple de l’industrialisation, de la mainmise des richesses produites, de la destruction de la nature, de la discrimination et de l’exploitation.

Oui, bien sûr, on peut s’arrêter aux elfes, aux nains, etc. Mais alors ce serait comme lire les Misérables sans y voir une peinture de la vie des plus humbles.

L’histoire de la Fantasy : une réaction à une société que l’on refuse

Qu’est-ce que la Fantasy ? Entre deux rayons dans une librairie générale, on vous répondrait que la Fantasy appartient à la littérature de l’imaginaire. Elle met en scène la magie, les créatures fantastiques, etc. Ensuite on citerait Harry Potter. Comme dirait le personnage de Cyrano (qui a écrit des histoires de Fantasy), c’est un peu court ! Reprenons le fil de son récit pour approfondir sa définition.

 Les origines mythologiques et des contes : les racines.

Aux origines de ce genre, magie, merveilleux, et j’ose ajouter aventures. La mythologie de tous les pays, de la Perse jusqu’aux confins du monde nordique, nous embarque dans des périples ou des péripéties féériques dont elle se nourrit. Elle aspire quelque part à retrouver ces histoires pleines de surnaturel. Les mythes lui procurent ces trames. Les contes lui prêtent leurs créatures fantastiques.

La naissance du genre littéraire dès le 19e au Royaume-Uni

C’est dans ce royaume que naît le genre. L’Angleterre victorienne et ensuite édouardienne devient une super puissance industrielle. Les usines se multiplient, les villes se développent et la pauvreté aussi.

Certains, tels que les préraphaélites, interrogent cette industrialisation et ces conséquences. Ils s’en émeuvent et aspirent à retrouver le monde d’avant. En réponse à cette évolution, leur esthétisme reprend largement les codes médiévaux du merveilleux, de la nature intacte, de la chevalerie, etc.

Influencé par ce courant artistique, William Morris écrit et publie des histoires. Son récit, la source au bout du monde empreint de quête, d’aventures, et de magie est considéré comme l’une des premières fictions du genre.

Jusque dans les années 1930, la Fantasy se retrouve principalement dans les livres. Elle appartient à une certaine élite qui a accès à l’éducation et au savoir dans la société anglaise. Par exemple, Tolkien et C. S. Lewis (Les mondes de Narnia) enseignent tous deux la littérature à Oxford. C’est depuis un autre pays que la Fantasy prendra son envol et touchera toutes les strates de la société.

L’expansion américaine dans les années 1930

Les pulps, des magazines bon marché, donc accessibles à tous, paraissent. La science-fiction y tient sa place, la Fantasy également. Elle se mélange avec les récits d’aventures. En 1932, le personnage de Conan le Barbare apparaît : le héros mythique de l’imaginaire Fantasy. Deux cycles fondateurs, celui des Épées et celui d’Elrik sont publiés.

Ce métissage de médiéval, merveilleux et action constitue la fameuse heroic-fantasy que nous connaissons tous ou presque. Ensuite, tout s’enchaîne grâce aux amateurs. Ces derniers créent des communautés : les fandom.

Les années soixante sont aussi un tournant en Fantasy littéraire, les dragons d’Ann McCaffrey s’envolent. Ursula le Guin nous raconte Terremer. Il faut compter également avec la parution du Seigneur des anneaux de Tolkien. La Fantasy s’émancipe et part à la conquête de notre monde.

Magie et écologie : des thèmes de l’imaginaire de nos jours ?

De nos jours, la révolution technologique et numérique s’accélère. La crise climatique que nous les humains portons menace le monde vivant. Nous aspirons à un « avant » qui est perdu. Tout comme au 19e ou au milieu du 20e aux USA, l’expansion actuelle de la Fantasy est peut-être une réaction à des bouleversements qui ne sont pas tous bénéfiques.

En effet, depuis la littérature, elle a traversé tous les autres médias en quelques années. L’imaginaire devient ainsi un refuge commun, mais surtout elle conçoit des univers moins nocifs et plus justes.

Altérité, tolérance, diversité dans le merveilleux

Ce genre est en grande partie fortement influencé par l’occident (et les hommes) : les chevaliers héroïques, les princesses inutiles, etc. Or, depuis ses débuts, on assiste quand même à un certain « bruissement » dans la représentation de minorité, notamment celle des femmes.

La magicienne Morgane dans les légendes arthuriennes, ou l’elfe Galadriel chez Tolkien y ont participé, même si on peut discuter de la façon dont les auteurs les ont écrites. Mais, rappelez-vous de l’amour de la Fantasy pour le différent. Elle n’a pu donc qu’évoluer.
Mieux, elle a anticipé et accompagné les questionnements sociétaux actuels. Les personnages de Fantasy se sont diversifiés au fur et à mesure. Sa littérature contemporaine crée à présent des figures aux modes de vie dits « alternatifs » parce qu’ils ne correspondent pas à la norme. Elle fait bouger les lignes dans la société et dans ses propres médias culturels.

Par exemple, le handicap, les neuros-atypies, la diversité, le genre ou la sexualité séparément ou ensemble se retrouvent dans les romans de cet imaginaire du merveilleux. Du fait de son rapport serré avec les médias tels que les jeux vidéo, le cinéma ou les séries, la Fantasy contribue à mettre en lumière d’autres façons d’être soi-même dans un univers qui les rejette. Elle accepte tout le monde.

Elle a porté et porte encore l’étendard de ceux et celles qui ne trouvent pas leur place dans la société. Sa littérature contemporaine rend visibles des personnes ou des modes de vie que l’on connaît peu ou mal, tout comme ce genre en lui-même.

Je peux citer Cécile Duquenne et Etienne Barillier avec leur héroïne Steam Punk, ou Nnedi Okorafor qui écrit des personnages de femmes puissantes et noires, etc. Mais, ce serait une fois de plus mettre dans des cases des ouvrages des autrices, des auteurs. Pour apprécier la Fantasy et comprendre ce qu’elle nous explique, il faut encore faire acte de foi et sauter dedans sans rien attendre, et être prêt à tout recevoir.

Cette évolution augure des changements positifs dans la société. C’est d’ailleurs cet espoir d’un monde meilleur qui demeure l’essence du merveilleux.

En France, peu de sources fiables ou récentes explorent la Fantasy ou ses schémas. Certainement parce que le genre est moderne ou peut-être aussi qu’il n’est pas tout à fait considéré comme sérieux. C’est pourquoi le travail des universitaires tels qu’Anne Besson est si important. Il donne de la substance à grignoter au public non averti, propage le virus de la recherche sur l’imaginaire aux étudiants et apporte une meilleure connaissance aux amateurs. Mais, qui ou quoi que nous soyons, il nous revient à nous, qui évoluons dans l’univers Fantasy de transmettre ce trésor.

Prisca Bradu

Sources :

https://www.youtube.com/watch?v=cBLyLS8fuOk : Fantasy, retour aux sources #1 - Anthologie d’un genre littéraire par Anne Besson pour la BNF

Dictionnaire de la Fantasy. Sous la direction d’Anne Besson. Éditions Vendémiaire, 2018.

Site de la BNF sur la Fantasy https://fantasy.bnf.fr/fr/accueil/

Article universitaire :

Do you believe in magic ? The Potency of the Fantasy Genre. Mathias Stephan. Coolabah, No.18, 2016, ISSN 1988-5946, Observatori: Centre d’Estudis Australians / Australian Studies Centre. Université de Barcelone 2016

https://raco.cat/index.php/coolabah/article/view/CO201618/418100

 

Illustrations: Le livre, Photo de Nav Rashmi Kalsi sur Unsplash

Le personnage, Photo de Evgeni Tcherkasski sur Unsplash