Ce n'est pas ta faute si tu as dit la vérité, c'est la vérité qui était fautive... par Aline Nocella
Piste d’écriture : Se réconcilier après une dispute ou une révélation malvenue, Comment ?
J’étais devant la maison familiale après le coup de fil de ma sœur cadette. Il avait été bref, presque sans parole. D’abord j’avais ressenti de la surprise, de l’effroi, cela devait être grave ! Il y avait si longtemps que cela ne s’était pas produit. Je la laissais parler. J’avais la bouche sèche, les mots qui n’arrivaient pas ou se bousculaient, la sensation de vide comme un corps qui se dilue. Il fallait que j’ordonne mes idées, me dire que cela arrive que cela est dans l’ordre des choses. Elle ajouta : « Oui, il fallait que je te prévienne pour ne pas avoir des remords. » Elle continua : « Notre mère vient de nous quitter pour un monde meilleur, elle qui a tant donné et qui n’a jamais eu de retour. »
Je ravalai mon sanglot. Encore et toujours une phrase pleine de sous-entendus ! A quoi bon tenter de me justifier ? elle n’attendait pas de réponse.
La maison avait vieilli, les peintures s’écaillaient et la sonnette de la porte ne fonctionnait plus. Le jardin, ressemblait à un champ d’herbes folles, lui aussi avait pris son indépendance. Nous étions au printemps, les pissenlits et les violettes tapissaient ce qui n’était plus le gazon tondu de mon enfance.
Nous étions toutes les deux, face à face et chacune de nous. Nous nous retrouvions après de longues années. Difficile de nous retrouver pourtant, avec nos corps de femmes, nos rides, nos cheveux blancs. Comme ils étaient loin nos rires complices, notre chambre partagée, avec un tiroir de la commode pour nous seules, où quelques photos des lettres d’amoureux se terraient sous les culottes. Trésors cachés, pillés puisqu’un jour mon tiroir s’était vidé sans mon accord.
Elle m’avait embrassée furtivement, un léger baiser qui pesait une tonne.
- Rentre vite, il fait frais, tu veux boire un café ?
- Oui, je veux bien.
Il n’y avait pas de gêne, mais un sentiment d’inutilité dans cette rencontre. Comment en étions-nous arrivées à cet éloignement ? La jalousie ? Des reproches ? Tout cela m’apparaissait comme un vilain jeu d’enfants.
Autour de cette table, nous avons dévié sur les nouvelles des proches, le nombre de petits-enfants, la réussite et les malheurs inhérents à la vie des uns et des autres. Et puis nous avons retrouvé notre jeunesse avec nos souvenirs communs ; les anniversaires, les ruses pour sortir le samedi soir, les flirts… Nous avons alors beaucoup ri ! Que cela fait du bien de rire !
J’étais repartie plus légère, la rancœur qui collait comme un poison s’était envolée. Je ne savais pas encore si tout cela suffirait. En partant, elle m’avait dit : « Ce n’est pas ta faute si tu as dit la vérité, c’est la vérité qui était fautive. »
Cette phrase me tourne encore dans la tête, mieux que ce dicton qui m’empoisonnait les jours de spleen « Quand le vase se brise, on peut recoller les morceaux mais il ne sera jamais plus comme avant ».
Copyright: Aline Nocella
Illustration: Europea, https://unsplash.com/fr/photos/y1PQ8mXJE_Q