Triste retour, Christiane Koberich
Piste d'écriture: une scène derrière la scène.
Laure revient aujourd’hui dans ce village presque abandonné, de nombreuses années après y avoir accompagné sa mère à l’enterrement d’un monsieur âgé qu’elle n’avait guère connu.
La même église, la même place principale, les mêmes maisons… Cet univers dans lequel elle avait passé, dans sa petite enfance, tant de vacances heureuses chez ses grands-parents… Ce village que les jeunes ont déserté et où l’on ne revient que pour les enterrements.
Mais maintenant, c’est différent pour Laure : cette fois, il s’agit de l’enterrement de sa propre mère, Jeanine, dans son village natal, celui où elle avait grandi, celui de son enfance.
Tous les vieux sont là, avec leurs casquettes vissées sur leurs têtes et leurs habits du dimanche sortis seulement pour les grandes occasions. Ils sont là, dans leur maigreur ou leurs ventres rebondis, leurs visages émaciés ou joufflus, leurs yeux desquels coule un chagrin qu’ils ne cherchent pas à dissimuler.
Ils s’approchent d’elle, comme voulant lui parler… Des vieux, beaucoup de vieux, comme l’autre fois lorsqu’elle avait accompagné sa mère… Les mêmes ? Non, impossible. D’autres, bien sûr. Mais ils leur ressemblaient tellement ! D’ailleurs, dans le grand âge, tous les vieux se ressemblent.
Laure pense qu’elle a dû en rencontrer certains, autrefois… Mais comment les reconnaître ?
À cette époque, elle devait avoir dix-huit ou vingt ans ; elle s’en souvient, ils s’approchaient d’elle pour lui parler, caressaient ses longs cheveux de leurs mains raidies par l’arthrose, l’observaient avec une curiosité non dissimulée, mais également beaucoup de bienveillance. Elle leur souriait, nullement effrayée ; mais sa mère, elle, lui avait paru agacée, ou inquiète, et elle l’avait éloignée d’eux comme si elle avait cherché à la protéger… Mais de quoi ? Que craignais-tu, maman ?
Et aujourd’hui, c’est elle qu’on enterre, sa chère maman… Le chagrin la paralyse, les larmes glissent le long de ses joues. Et tous ces petits vieux qui ont bien connu Jeanine, pour certains, déjà à l’école primaire, sont là, présents, pour Laure, pour la consoler, pour lui parler de cette mère tant aimée qu’elle vient de perdre ; pour évoquer, pour eux et pour elle, sa fille, "la Jeanine", comme ils disent, dans des termes chaleureux, mais aussi en riant à l’évocation de certaines anecdotes méconnues. Ils cherchent des ressemblances… « Et tu as son sourire ; ses yeux. Et les cheveux ! Ah oui, les cheveux ! »
Et ils lui décrivent la petite Jeanine qu’elle était alors : plutôt sérieuse en classe, mais aimant tellement rire, faire des farces, raconter des blagues… Et ils en évoquent certaines enfouies dans leurs mémoires.
Alors, au milieu de ses pleurs, Laure ne peut s’empêcher de laisser échapper quelques rires réconfortants. Ah ! Oui, elle aimait bien, Jeanine, amuser les copains ! Une découverte pour Laure !
À leur manière, par leur présence et leurs souvenirs qu’ils se plaisent à partager, tous ces petits vieux la réconfortent, lui font presque oublier un instant pourquoi elle est là, et l’entraînent dans des récits où ils font revivre sa mère.
copyright Christiane Koberich
Photo de Danie Franco sur Unsplash
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