Île bretonne et lande sauvage, par Didier Chabbert
Sur la piste d'écriture Alchimie relationnelle, "Liv Maria".
Sur ce petit bout de terre perdu en pleine mer, les vents sont si forts et les tempêtes si fréquentes, que seuls ceux qui y sont nés envisagent d’y rester. Aussi, cet homme grand et fort comme un bûcheron a fait forte impression lorsqu’il a débarqué ici. Un homme étrange, un peu bourru, dont on disait qu’il était norvégien. Mais, pour la plupart des îliens, la Norvège était le nom d’un pays qu’ils situaient difficilement, probablement dans le grand Nord où il fait toujours froid.
Thure Christensen n’était guère bavard sur son passé. Grand navigateur, il avait choisi de poser ses amarres en France, à condition de garder les pieds dans l’eau. La mer et le vent, deux éléments dont il ne pouvait se passer, deux éléments nécessaires à son équilibre et à son intériorité, indispensables pour s’adonner à la lecture, son grand plaisir.
Mado Tonnerre, elle, est un personnage, une fille d’ici, aussi populaire que son café. Le café-restaurant-épicerie appartient depuis toujours à la famille Tonnerre. C’est là qu’elle a grandi, dans cette ambiance mi-bistrot, mi-épicerie, où tous les gens de l’île se côtoient. Mado a une voix, elle aurait pu être chanteuse. D’ailleurs, la jeune femme aime pousser la chansonnette lorsqu’elle traverse la lande sauvage pour se rendre à la mer. C’est comme ça qu’elle a croisé le chemin de Thure Christensen, en chantant.
Madeleine, que depuis toujours on nomme Mado, n’avait jamais vu cet homme sur l’île auparavant. Thure passait l‘essentiel de son temps à la lecture ou à aménager son nouveau logement, pas plus grand qu’une boîte d’allumettes familiale. Il fut agréablement surpris de croiser ce petit moineau chantant, mais pas un mot ne fut échangé ce jour-là. Ce fut un peu plus tard, en se rendant à l’épicerie, que Thure revit Mado. Il avait cette fois trouvé son nid. Petit à petit, il prit ses habitudes au café, n’hésitant pas à s’asseoir avec un livre pour passer de longs moments de lecture. Il prenait plaisir à voir Mado aller et venir, et à l'entendre chantonner parfois.
Ce fut par un jour ensoleillé de juillet que Mado s’assit à la table de Thure, en lui apportant le café. Puisque cet homme si fort et si secret ne faisait guère d’effort pour se dévoiler, elle ferait le premier pas. Mado était un peu sous le charme, mais avant de s’y abandonner, elle voulait savoir qui était Thure, quelle était sa vie avant de venir sur l’île, pourquoi il était si secret ?
Deux ou trois tentatives lui furent nécessaires pour apprendre que Thure avait perdu son épouse trois ans auparavant et qu’il avait cessé de naviguer depuis. Il n’oublierait pas, mais il voulait une nouvelle vie, une nouvelle terre d’accueil. Sa passion pour la lecture lui faisait l’effet d’un remède contre l’ennui et les idées noires. Mado comprit qu’elle pourrait domestiquer ce loup blessé, elle se sentait prête, c’était évident. Thure se laissa faire, Mado était pour lui une source d’étonnement, une héroïne. Ce fut la fin de l’ennui, le début d’un bonheur féroce et d’une vie tumultueuse.
De cet amour ardent naîtrait Liv Maria, deux ans plus tard.
Texte copyright Didier Chabbert, Photo de Rizky Subagja sur Unsplash