Andréa, Magnifica, Chat GPT et le stylo doré... par Bernard Delzons

L’histoire de « Magnifica » et du stylo doré que lui a laissé Andréa, racontée dans le roman de Maria Rosaria Valentino m’a inspiré le texte qui suit.

Andréa était particulièrement perplexe. Il cherchait un nouveau sujet pour son prochain roman, et ce jour là, il n’avait trouvé aucune idée. En désespoir de cause, il avait donné quelques éléments à « Chat-GPT » en espérant que cette IA lui apporterait au moins une idée de commencement.

Ce n’était pas la première fois qu’il utilisait les services de l’IA. Il lui avait soumis un texte et avait été flatté par le jugement enthousiaste qu’il avait reçu, même s’il n’était pas dupe de sa flagornerie évidente pour le garder dans ses griffes. Il avait apprécié qu’on lui corrige ses fautes d’orthographe, mais pas du tout qu’on lui change ses phrases pour une plus grande fluidité. Avec le recul, cependant, il devait reconnaître que son style manquait parfois de légèreté !

 

Cette fois, il tapa quelques mots seulement « Magnifica, sans T, femme, départ, stylo, doré, obsession, pinceau de maquillage, chauve-souris, nue ». Après quelques secondes, l’IA lui proposa l’histoire d’une jeune femme à qui il aurait donné un stylo doré pour qu’elle puisse raconter la façon dont elle vivait cette rupture. Il la décrivait comme étant très sophistiquée, avec une longue chevelure qui lui avait donné la phobie des chauves-souris tellement, elle avait peur quelles s’accrochent dedans.

 

Cette fois c’en était trop, Andréa était furieux, car son histoire était bien différente. A l’opposé de ce qu’il aurait fait habituellement, Il ferma son ordinateur, prit une feuille blanche dans son imprimante, prit le stylo doré qu’il avait gardé, l’autre il l’avait donné à Magnifica. Et là, sans réfléchir, il commença à aligner des mots. Ainsi pendant presque deux heures, il ne leva la tête que pour trouver une autre feuille. Il était près de cinq heures de l’après-midi quand il s’arrêta brusquement, épuisé. Il se leva, se prépara un thé, donna une feuille d’endive à son canari, puis confortablement installé dans son fauteuil club au cuir usé, que lui avait laissé son parrain, il se mit à relire ce qu’il venait d’écrire.

 

Il avait rencontré Magnifica à Madrid, « Plaça Del Sol », ils regardaient tous les deux des jeunes-gens qui chantaient sur la place. Il ne lui avait porté aucune attention jusqu’à ce qu’elle propose une chanson à la troupe, qui venait de demander si quelqu’un avait envie d’un titre particulier. Un grand silence avait suivi la proposition de Magnifica. Personne ne connaissait cette chanson, bien trop ancienne pour tous ces jeunes, mais lui la connaissait, sa grand-mère la lui fredonnait pour l’endormir, enfant. On sentait une profonde désapprobation du public, le soliste, pris au dépourvu allait prononcer une phrase désagréable, Andréa pensa qu’il fallait faire quelque chose, alors il entonna cette chanson et la jeune femme avait joint sa voix à la sienne. Aussitôt les musiciens les accompagnèrent et le public applaudit au rythme de la musique.

 

Un peu plus tard, il s’était retrouvé, lui et elle, avec la troupe dans un bar et ils avaient refait le monde en chantant, la sangria procurant un généreux lien de fraternité. Ils avaient échangé leur numéro de téléphone, mais ni l’un ni l’autre n’avait appelé. Presque six mois plus tard ils s’étaient revus dans une librairie. Ils s’étaient regardés, était-ce bien eux ? Alors ils avaient éclaté de rire, puis ils avaient partagé un déjeuner au sommet du « Corté Engles » le grand magasin espagnol. Ils avaient choisi une assiette de ce jambon « Iberico » qu’ils adoraient tous les deux. Ensuite, ils prirent ensemble le métro, la même ligne, la même sortie. C’était un signe, ils ne s’étaient plus quittés. Elle était étudiante, elle venait d’Argentine, et elle préparait une thèse sur la littérature espagnole.

 

Un samedi, en se promenant dans la rue « Atocha », ils s’étaient arrêtés devant la vitrine d’une papeterie et ils avaient admiré les jolis papiers de couleur, les belles enveloppes et les cartes postales. Magnifica était entrée, en avait choisi une représentant le Palais Royal. Ils n’avaient ni l’un ni l’autre le moindre crayon. André remarqua alors de jolis stylos dorés et il en acheta deux, un pour elle, un pour lui, cela scellerait leur union avait-il pensé.

 

Brusquement, il releva la tête, il calcula que c’était il y avait presque deux ans. Peu à peu leur attachement avait changé, Ils s’étaient vite rendu compte qu’ils n’étaient pas amoureux. Mais une grande amitié avait remplacé leur passion éphémère. Ils avaient continué à se voir, se racontant même leurs aventures. Mais ils aimaient surtout se retrouver pour faire le tour des bars et avaler toute sorte de « Tapas ». Il n’était pas rare que l’un des deux doivent raccompagner l’autre chez lui s’il n’avait pas été assez raisonnable sur la boisson, mais dans ce cas le visiteur dormait toujours sur le canapé.

Mais voilà, il y avait quelques semaines, après la réussite à ses examens, Magnifica avait dû reprendre le chemin de l’Argentine, parce que son père ne pouvait plus continuer à financer son séjour en Espagne. Alors elle était partie, il l’avait accompagnée à l’aéroport et au moment de se quitter, il lui avait offert un des deux stylos qu’il avait achetés dans cette papeterie du centre de Madrid. Elle avait dit en riant : « Tu me quittes, mais avec lui, tu seras toujours avec moi ! » Quel toupet ! avait-il alors pensé, c’était elle qui partait, puis il avait souri.

 

Il savait très bien ce qu’il faisait, elle était brillante mais fantasque, elle s’attachait plus aux choses qu’aux personnes, mais en même temps, elle les perdait, et alors les cherchait à en devenir folle. Il l’imaginait dans sa maison, dans son salon, dans sa cuisine, ou même dans sa salle de bain à la recherche de ce petit stylo madrilène qui lui rappellerait un moment heureux de son séjour dans cette belle ville. Il savait qu’au fond du jardin, il y avait une serre remplie de plantes exotiques, et il lui parut soudain possible qu’elle ait utilisé le stylo pour repiquer une nouvelle petite pousse. Avec elle tout était possible, surtout si elle ne mettait pas ses lunettes, sans lesquelles elle ne distinguait pas une cuillère et une fourchette. Bon, il exagérait un peu, mais pas tant que ça !

 

Elle lui avait raconté ses démêlés avec les chauves-souris dans la maison des ses grands-parents et la peur qu’elle en avait. Alors, il lui avait dit que ce stylo lui servirait de talisman pour la protéger, mais encore fallait-il qu’elle sache où il se trouvait !

 

Il étant encore en pleine rêverie quand le téléphone sonna. Il décrocha, c’était elle. Elle était perdue, elle était malheureuse, Madrid lui manquait. Il interrogea : « Et moi ? » Un long silence suivit, puis elle éclata en sanglot. Alors, elle avoua qu’elle s’était fait « larguée » par son dernier petit copain. C’était un Espagnol, elle avait cru que la nationalité suffirait à retisser les liens avec son passé. Andrea était ému. Il la calma tendrement, puis il lui raconta les derniers potins de Madrid, sa dernière virée dans les bars. Il lui donna des nouvelles de leurs amis communs. Enfin il lui promit de venir la voir. Il lui raconta même ses mauvaises expériences avec « Chat GPT » sans jamais dévoiler ce qui c’était passé quelques heures plus tôt, il ne lui avoua pas non plus qu’il avait commencé un nouveau roman et que celui-ci raconterait, entre autres, ce moment de vie commune !

Photo de Art Lasovsky sur Unsplash  

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