Elie vu par Issa, vs Issa vu par Elie, par Angèle B.

Piste d'écriture: Son nom manque à l'appel

Elie est le prophète adulé, vénéré, idolâtré par la classe de terminale C d’un Bac section Gestion, d’une filière dont l’ambition se résume, à quelque chose près, à réussir son inscription à Pôle Emploi.

Grand, il l’est tout autant que moi. Pourtant il semble me dépasser d’une bonne tête, tellement ses épaules larges et athlétiques s’élèvent vers le ciel. Ses yeux sombres et rieurs s’éclairent d’une lueur malicieuse à chacune de ses bonnes blagues. Oui, Elie est le gars le plus populaire des terminales du lycée.

Il est le soleil tandis que je suis la nuit. Il est la vie tandis que je suis les ténèbres.

Pourtant, ça n’a pas été toujours été ainsi. Enfants, nous étions des frères inséparables, les faux jumeaux du bloc G de la cité des Mille Poix dans le 93. J’étais le plus costaud des deux, celui qui faisait peur aux braves gens du quartier, en un mot le plus intimidant des deux. Avant que la puberté ne joue les trouble-fêtes, Elie était petit, voire gringalet. Certains vieux du quartier vous diront même qu’il était si maigrichon qu’on le pensait malnutri. Mais voilà, à seize ans, nos trajectoires de croissance se sont télescopées, emportant avec elles notre tendre complicité. Elie, mon ami, mon frère, que fais-tu de notre pacte d’amitié à la vie, à la mort ? Un bouffon, voilà ce que tu es devenu !

 

Issa, Issa, Issa, mon ami. Te voir rentrer la tête dans les épaules comme la tortue de Mme Espinosa me rend dingue ! Tu étais mon idole, celui qui avançait droit dans la lumière, des rêves plein la tête. C’est toi qui me disais : « T’en fais pas frérot, on va leur montrer à tous qu’on peut se tirer d’ici, qu’on va la quitter cette p*tain de cité !» Et moi, je te croyais.

Et puis, il y a eu cette terrible nuit où tu as trop bu et emprunté la voiture de M. Mamamoutou. De l’accident à la case prison, il n’y eut qu’un pas. Sans même passer par la case Départ et empocher les 20 000 francs du Monopoly que je garde en souvenir du bon vieux temps. Issa, mon frère, tu as payé ta dette à la société, comme ils disent. Issa, viens, la vie est faite pour rire et surtout se foutre de ce p*tain de Bac ! Toi qui me disais : « ensemble on est plus fort, seul on n’est rien ».

 

Elie et Issa, qui sont-ils en fin de compte ? Leurs deux noms manquent à l’appel des admis au Bac section G, du lycée G. Pompidou, un établissement de seconde zone d’une cité sans avenir pour toute une jeunesse. Leurs noms manquent à l’appel des gagnants, de ceux qui espèrent s’extirper des murs du bloc G de leur enfance. Après tout, c’est ce que leur vend l’Education nationale, non ?

Issa regarde à la dérobée Elie, sans reconnaitre chez ce fanfaron, adepte de musculation et de musique Rap, son ami, son seul ami ici.

Elie regarde Issa s’éloigner, sans tenter de le retenir. À quoi bon ?

À eux appartenaient les temps anciens, ceux de l’innocence et des grands rêves que l’on construit à deux. À eux appartient désormais le temps nouveau, celui qui efface ce qui fut et qui ne sera plus.

14/10/2025

Copyright du texte : Angèle B. 
Photo de Kathy Marsh sur Unsplash

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