Son nom manque à l'appel, piste d'écriture
Son nom manque à l’appel.
Il a beau chercher – c’est facile, il est le plus grand, presque deux mètres, comme un arbre mûr, il les dépasse tous –, il a beau scruter la liste qu’une main a punaisée au tableau ; il ne trouve pas. Il ne se trouve pas.
Il est plus grand que les autres et pourtant il se tient courbé, le dos brisé. Il cherche, hume, flaire, parcourt la liste mille fois parcourue… Ah. Enfin. ISSA. C’est son nom.
Son nom est là. En capitales. Mais, comme s’il n’existait pas, il n’y a rien à côté, rien pour le soutenir. Du vide, du blanc. Pas le moindre résultat positif. Pas la moyenne. Pas même la case « rattrapage » qu’on aurait cochée en dernier recours. Ça y est C’est officiel. Il a raté son bac.
Il s’extirpe de la cohue, mélasse frétillante de corps indifférenciés. Laisse son nom dans l’oubli. Laisse son nom tomber là.
(.....)
Alors il rentre. Il laisse son nom. Son nom a fait défaut.
Nage libre, de Boris Bergmann, éd. Calmann Levy, 2018.
Commentaire
Ce texte constitue le premier chapitre du roman. Il pourrait se suffire à lui-même, constituer une nouvelle, avec cette dernière phrase qui sonne comme une condamnation : « Alors il rentre. Il laisse son nom. Son nom a fait défaut. » - et qui semble répondre à la première phrase, qui est aussi le titre du chapitre : « Son nom manque à l’appel ».
C’est bien le nom, Issa, dont on ne sait s’il s’agit d’un prénom ou d’un patronyme, qui est au centre du texte. On comprendra plus tard qu’il s’agit d’un prénom, le patronyme, lui, n’est pas donné. De toute façon, le personnage ne parvient à habiter ni le patronyme ni le prénom.
Il n’y a pas que son nom qui lui semble trop vaste, son corps aussi – il courbe sa haute taille, il voudrait disparaître. C’est d’ailleurs bien l’impression qu’il a au début du texte : son nom a disparu, il ne figure pas sur la liste. Quand il l’aperçoit, celui-ci se trouve à part, entouré de vide, de blanc, « sans rien pour le soutenir ». Issa lui aussi se tient à l’écart. Seul Elie, son seul ami, est un repère. Mais Elie, lui, semble très entouré, c’est un garçon populaire… Alors, Issa se retire encore plus loin en lui-même.
Malgré ce premier chapitre, on se doute que quelque chose va se produire, qui va le propulser sur la scène du monde. Le titre, « Nage libre », vient contredire l’impression de désarroi, d’échec total que laissent les premières pages. Les titres sont importants dans ce roman. Ils sont constitués de la première phrase de chaque court chapitre. Voilà les 3 premiers :
« Son nom manque à l’appel », « D’un regard il peut faire l’inventaire de sa vie », « Elie et Issa sont citoyens de la Zone. »
Ces titres font intervenir les personnages principaux de l’histoire : Issa, Elie, la Zone (la cité HLM dont ils sont les « citoyens »). Un quatrième nom, ou plutôt un surnom, s’y ajoutera : « L’étoile » - plus exactement, « l’étoile de mer ». On se doute bien que l’eau sera également un élément important. Mais comment ? Que vient faire cette « nage libre » dans une telle configuration ?
Le texte a beau tourner autour du nom, le corps est très présent. Le lecteur se retrouve dans l’orbe d’Issa, à se courber, chercher, humer, flairer… Humer même les voix, puisqu’elles ont une odeur, une couleur, rien qu’à elles. Issa est à la fois à côté de son corps, et tributaire de lui ; il perçoit le monde avec tous ses sens, cela fait naître des images, jaillir des souvenirs – pas toujours les bienvenus. Son don d’observation lui permet aussi de deviner, décrypter. Issa est un personnage entravé, qu’on devine potentiellement puissant. Cela le rend attachant.
La construction du texte est intéressante, et là encore fait penser à l’art de la nouvelle. Le début est centré sur la perception d’Issa, qui lui-même est obnubilé par la recherche de son nom. On n’a pas de contexte, ce qui nous fait partager le sentiment d’étrangeté d’Issa. On cherche avec lui, un nom qu’au début on ne connait pas.
Puis le cadre s’élargit peu à peu, on comprend qu’il s’agit d’un examen (pas même la case « rattrapage »). Alors seulement la foule des élèves est mentionnée « il s’extirpe de la cohue, mélasse frétillante de corps indifférenciés ».
Ensuite, le contexte s’enrichit, avec l’évocation de son histoire.
Enfin apparaît Elie – mais Elie est avec les Autres, ce mot qui maintient l’indifférenciation de la foule.
Pistes d’écriture :
Un échec :
Un échec, tellement complet qu’il vient exposer une non-appartenance à un monde, un mode de vie, en tout cas un malaise profond. Quoi, pourquoi, comment ? Qu’en faire ? Que faire ensuite ? Ici, il y a deux manières d’accueillir la nouvelle, celle d’Issa, celle d’Elie. Vous, ou votre personnage, comment réagiriez-vous ? Racontez. Il peut bien sûr s’agir de tout autre chose que d’un examen raté !
S’approprier cette histoire
Poursuivre l’histoire du point de vue d’Issa. ou, Poursuivre l’histoire du point de vue d’Elie. Raconter qui est Elie, comment ils se sont rencontrés.
A partir des titres du livre et des chapitres :
Construire un petit scénario, une histoire, qui les relierait. Ecrire ou prendre des notes. Vous pouvez modifier les titres.
Du gros plan au plan d’ensemble
Ecrire un texte en partant de ce que perçoit un personnage, et ouvrir peu à peu le champ, pour nous révéler le contexte. Au début, vous êtes dans la subjectivité du personnage, vous vous en détachez peu à peu, pour y revenir si vous le souhaitez.
Vous emparer d’une phrase, ou d’un passage, et poursuivre.