Issa et Elie, par Didier Chabbert

Piste d'écriture: Son nom manque à l'appel, sur un texte de Boris Bergman

« Issa, tu descends ? »

Issa est à la fenêtre, au 7ème étage. Elie est en bas, sur la dalle, avec son ballon.

Issa a 12 ans, Elie quelques mois de plus. Ils sont copains, copains d’école et par chance, ils habitent le même HLM.

Leur univers est restreint, mais Elie ne le sait pas. Il ne le sent pas, il vit ses journées entre l’école et le ballon, sans se soucier du reste, du cadre de vie, de l’environnement, du manque d’argent de ses parents.

« Issa, tu descends ? »

Issa doit demander à sa maman l’autorisation de descendre jouer avec Elie.

La maman ne craint pas Elie, c’est un gentil camarade pour Issa. Non, la maman craint pour Issa qui est fragile, bien que physiquement déjà bien costaud.

Issa, lui, sait qu’il habite la zone, qu’il doit respecter sa maman qui l’aime tant.

Issa, sous ses allures de presque adolescent, est encore un enfant. Un enfant tendre et fragile. Il n’est pas sûr de lui. Il est affligé par son prénom si dur à porter. Il n’a pas connu son père… un mystère. Personne ne lui a rien expliqué.

Elie, c’est son ami, son camarade, son copain de jeu et son copain de classe. Elie n’a pas de case « rattrapage ». Pour lui, c’est simple, il vit sa vie d’enfant, il est juste Elie, il porte un sourire désarmant, il rigole, il est rassurant.

Elie et Issa sont citoyens de la zone et inséparables.

Issa, il n’a pas le droit, son corps est déjà trop grand. Issa pense au Mali, son pays d’origine, le pays de sa mère Fatumata, un pays qu’il n’a jamais vu.

« Issa, tu descends ? »

Issa a eu l’autorisation, les devoirs étaient finis et vérifiés par la maman. Il file retrouver Elie, pour jouer au ballon, comme chaque fois que c’est possible. Ils n’aiment pas que d’autres enfants se mêlent à leur jeu.

Il faudra remonter à 18h 30, c’est Elie qui donnera l’heure de rentrer.

Elie a un père et une mère, des gens modestes mais croyants. Aussi, Elie marche sur ses deux jambes. A l’école, il est naturellement bon élève, et son éducation est encadrée par ses deux parents. Alors, quand les devoirs maison sont finis, on lui fait confiance, il peut aller jouer avec Issa.

Issa aussi est bon élève, mais il doit travailler beaucoup et ne compter que sur lui-même. Des fois, Elie l’aide un peu.

Ainsi va la vie de ces deux amis.

Plus tard, ils se retrouveront au même lycée, pour une question de sectorisation. Au même lycée, mais dans des classes différentes, ce qui n’entamera pas leur amitié.

Bien sûr, à présent, le jeu de ballon ne sera plus de leur âge. D’autres activités viendront le remplacer : le sport, le basket, et puis il y aura les filles, les copines, les premières petites amies et les premiers flirts.

La scolarité est devenue parfois fluctuante, mais ils continuent de s’entraider. Le choix des options est compliqué et la question de l’argent de poche, un point de négociation difficile avec les parents. Le cinéma coûte cher, le coca au café un plaisir dont il faut savoir parfois se passer. Alors, trop souvent, ça leur rappelle qu’ils sont des enfants de la zone.

L’épreuve du Bac a achevé de les souder pour toujours.

Sur la liste punaisée au tableau, ils ne se trouvent pas. Pas de nom en capitales, ils n’ont pas la moyenne.

Pas de droit au rattrapage pour ces deux adolescents de la zone.

Photo de Adam Rhodes sur Unsplash

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                      Didier Chabbert, 15 octobre 2025

 

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