Le bac me paraissait l'examen qu'il fallait réussir, par Bernard Delzons
Piste d'écriture: « Son nom manque à l’appel » le premier chapitre « Nage libre » de Boris Bergmann, racontant la découverte par Issa de son échec au baccalauréat, m’a inspiré une suite…
« Le bac me paraissait l’examen qu’il fallait réussir… » Gentil Camarade, chanson de Marie-Josée Neuville.
Issa, un grand échalas dégingandé de pas encore dix-huit ans, meurtri de voir que son ami Elie l’ignorait, préférant blaguer avec les autres lycéens, décida de rentrer chez lui, Il habitait, avec sa mère, au troisième étage d’un HLM du 19éme arrondissement de Paris. Au pied de l’immeuble un petit dealer lui proposa un joint pour seulement quelques euros. Il haussa les épaules, il était clean et en était fier. Il gravit péniblement les escaliers et arriva, essoufflé, sur le palier. Il sortit la clef de sa poche. À cette heure il n’y aurait personne, sa mère serait encore au travail et il aurait le temps d’inventer quelque chose pour expliquer son échec. Il n’avait pas eu le bac ! Il se rappela alors cette chanson qu’il fredonnait parfois : « Le bac me paraissait l’examen diabolique qu’il fallait réussir pour le camp d’Iraton. ». Il avait longtemps imaginé qu’Iraton était un village du pays basque, jusqu’au soir où sa mère lui avait dit : « Mais enfin, mon fils qu’en dira-t-on, si tu ne l’as pas ? » On en était là.
Il entra donc dans l’appartement, se dirigea directement dans sa chambre et se jeta sur son lit. On ne bordait jamais le fond, il était trop grand et ses pieds dépassaient toujours, sauf quand il se recroquevillait.
Il venait de fermer les yeux quand il entendit une voix qui demandait si c’était bien lui, Issa. Il fut pris de panique, cette voix si particulière, un mélange d’accent parisien et d’intonations maliennes, c’était celle de sa mère : que faisait-elle là à cette heure ? Il se leva et se dirigea vers le salon. Il comprit vite qu’il s’était passé quelque chose, quand il aperçut cette femme d’habitude si active, étendue sur le canapé. Alors, il remarqua que sa jambe droite était recouverte d’un plâtre. Elle le regardait et avant qu’il ne pose la moindre question, elle lui raconta : « Je suis tombée en sortant du métro, il a fallu appeler les pompiers, on m’a amenée à l’hôpital, tu peux imaginer la suite, la radio, la cassure et le plâtre. Je suis invalide pour plusieurs semaines, c’est toi qui devras t’occuper de la maison, des courses, et… » Elle s’arrêta puis ajouta : « De toute façon, c’est les vacances et maintenant que tu as le bac tu auras du temps. »
Issa, malgré sa peau noire, se sentit blanchir ! Il fallait qu’il trouve quelque chose à dire. Il quitta la pièce, fonça vers la cuisine et revint avec un verre d’eau pour sa mère. Il le lui tendit en disant : « Bois, ça te fera du bien. » Puis, à moitié courbé, il tenta : « Mon nom n’était pas sur le panneau d’affichage, il faudra que j’y retourne, celui d’Elie, non plus d’ailleurs. »
Il s’attendait à des cris, mais il n’y en eut pas. Alors il regarda sa mère et vit qu’elle pleurait. Il s’approcha et voulut s’assoir près d’elle, mais elle le repoussa, en lui disant « Ari, pas de câlins, tu vas me tuer encore une fois ! » Elle l’appelait ainsi quand elle était en colère, quand il lui avait fait mal, tout comme la harissa quand elle avait la main trop lourde en préparant le repas.
Cette fois, c’est lui qui se mit à pleurer. Il était un « raté » un bon à rien, comme son père. Il était à genoux devant le canapé et sa mère lui passa la main dans les cheveux. « Non, mon fils, tu vas réussir, et je t’aime. »
On avait sonné à la porte. Issa pensa que c’était Elie. Il se leva et sortit pour ouvrir. Ce n’était pas son pote, mais un gendarme, ou plutôt deux gendarmes qu’il découvrit sur le palier. Issa se sentit perdu, pourtant il n’avait rien fait de répréhensible, ni fumé, ni volé, ni violé, ni…. Quand l’homme devant lui lui demanda s’il était bien Issa Issa, fils de Fatoumata Issa, il ne put que bredouiller un « Oui » timide. L’homme lui demanda alors s’ils pouvaient entrer. Issa savait qu’il aurait pu demander s’ils avaient un mandat de perquisition. Il ne le fit pas. Il les laissa pénétrer dans l’appartement, puis comme sa mère demandait qui était là, il les introduisit dans le salon. Il s’imagina repartir avec eux, les menottes aux mains.
Après des salutations succinctes, l’un des gendarmes lui tendit un courrier. Il l’ouvrit et découvrit que ça venait du ministère de la Jeunesse et des Sports. On lui demandait de rejoindre en urgence le centre d’entraînement de l’équipe de basket, on lui demandait de remplacer un joueur titulaire, blessé, pour la compétition du lendemain.
C’était la seule chose où il excellait, il avait assez souvent eu l’occasion de jouer avec l’équipe nationale pendant des matchs d’entrainement. Jusqu’à ce moment, sa mère avait toujours refusé qu’il l’intègre, il fallait d’abord qu’il ait son « Bac »… Cette proposition inespérée lui procura une joie immense, immédiatement remisée quand il pensa à sa mère dont il devait s’occuper. I
Il expliqua cela aux gendarmes qui étaient venus le chercher parce qu’il y avait urgence, les joueurs devaient prendre l’avion en fin d’après-midi. Devant son refus de les suivre, malgré les protestations de sa mère qui donna mille solutions pour expliquer qu’elle pouvait se suffire, les gendarmes appelèrent le « coach » et le lui passèrent, sans que celui-ci ne le décide à venir rejoindre l’équipe. Au bout du fil on l’entendit hurler, blasphémer. Puis, il raccrocha.
Alors la sonnerie de la porte résonna et presque aussitôt la frimousse d’Elie apparut. Il allait opérer un demi-tour en voyant les gendarmes, qui étaient sûrement là pour l’arrêter lui, parce qu’il ne crachait sur un petit joint de temps à autre. Qui avait pu le dénoncer et pourquoi venir le chercher ici ? se demanda-t-il. Mais il s’arrêta net quand il entendit un des hommes déclarer : « Monsieur Issa, en refusant de la rejoindre, vous allez priver l’équipe de France d’une belle occasion de se battre pour une médaille. »
Comprenant la situation, Elie l’interrompit. « Il va vous suivre, je m’occuperai de sa mère, soyez-en sûrs ! Il vous rejoint dans dix minutes. »
Ainsi, lui que personne n’aimait parce qu’il était différent, trop grand, mal dans sa peau, on allait l’encenser pour les mêmes raisons, quelques mois plus tard. Il allait devenir un des meilleurs joueurs du pays. Elie s’était vite chargé de lui faire de la publicité et s’était improvisé comme une sorte d’imprésario.
Rassuré, Issa avait suivi les gendarmes. Pendant la compétition, c’était sans aucun doute lui qui permit à l’équipe de remporter le match. En revenant chez lui, il trouva une lettre de l’Education nationale, lui indiquant qu’il avait été repêché et qu’il pourrait passer un examen de rattrapage en septembre. Conscients de la chance qu’ils avaient, les deux garçons révisèrent ensemble, et ils passèrent leur bac haut la main.