Le cercle des luthiers anonymes, par L'arscène Ethel
Piste d'écriture: transmission.
C. cercle L. des luthiers A. anonymes QUE
Entre les murs de crépi qu’on tente d’isoler, avec les milliards de pages de mille et quelques livres, il y a cette chaleur d’août en juin, comme deux ans plus tôt.
Et le bruit des cigales.
Dans cette pièce
– Le cercle des luthiers anonymes, ou presque –
On rabote, ponce, sculpte, polit, laque, on tend les cordes – elles cassent.
Et chacune façonne.
Parfois, la carapace immense – l’étui dans lequel se glisser pour se raconter – au côté d’un immense violoncelle scarabée.
Parfois, les altos tragiques épiques grandiloquents, ou bien tragiques épiques et très sérieux.
Parfois, ces violons miniatures, aigus, pour faire parler les enfances perdues.
Et les ouïes s’aiguisent. Et les clés clictent. Les touches s’usent au contact des doigts – la pulpe fait clapoter les claviers.
Et les clavicules jouent – on se redresse, se repositionne, prend du recul.
Des heures de silence, puis les voix qui ricochent, emportent, escaladent.
Chez les luthiers anonymes, on apprend à grapher
– scritch, scritch – sur les carnets, les feuilles volantes et les écrans.
Ce n’est ni l’orme, ni l’acajou qu’on sculpte. Mais le mot. La verve. L’histoire et la syntaxe.
– Les récits naissants, en fils tendus, ou les projets, à chaque copeau de bois, de mot, qu’on projette à travers la pièce. La colophane du temps qu’on passe en relisant – qu’on fait vibrer.
– Entre les planches des étagères accoudées au mur granuleux, j’apprends.
Non pas à écrire, mais à réécrire.
Rigueur régulière et rythmée – comme on respire après l’apnée.
N’écrire plus en logorrhée. Ou plus toujours, moins systématique, plus syntaxe, moins sciatique.
Plutôt que la logorrhée, la courbure ciselée.
Questionner le mot.
Est-ce bien toi ? ou ton frère ?
Synonymes et échos.
Élaguer, parfois. Déterminants ou terminus.
Écrire, contagion. Sur un slogan à l’abri-bus ou cette phrase d’un refrain.
« Voyous, voyelles, consonnes, consœurs*. »
Entre le plancher et les pages, depuis deux ans.
J’aiguise et fais sonner mon instrument.
Et depuis si longtemps, je n’avais plus suivi de douceur routinière.
– Il met du temps à se creuser, le chemin du connu –
Pourtant je ne me perds plus,
Ni dans mes mots, ni dans la rue.
Ce soir, sans l’ombre d’un doute,
Je suis luthier à Montpellier.
*Facile à danser, Soprano.
Copyright: Texte et photo, L'arscène Ethel