Transmission, avec Le Grand Feu, de Léonor de Récondo

Transmission

Le Grand Feu, de Léonor de Récondo, Grasset 2023, le Livre de poche n° 37845, p 31-33

Contexte

Pour la dernière séance de l’année, j’ai eu envie de partager avec vous un commencement.
On est au début du 18e siècle. Ilaria est vouée à la musique dès le ventre de sa mère, qui a insisté pour qu’elle soit élevée dans l’institution de la Pièta, où l’on apprend la musique aux filles, plutôt que dans le magasin d’étoffes familial. Et la fillette est impatiente. Elle est fascinée par Maria, une chanteuse à la voix grave, exceptionnelle ; elle veut la suivre partout. Hélas, Maria repousse cette crevette, et elle-même est trop jeune pour commencer de travailler sa voix, il faut avoir huit ans. Mais sous l’impulsion du nouveau maestro di violino, Antonio Vivaldi, elle pourrait prendre des cours de violon. La petite est immédiatement fascinée par les instruments pour enfant qu’il a commandés, elle exprime son désir ; et, par chance, elle est tirée au sort.

Que va-t-il se passer à présent ? éprouver un désir ne suffit pas toujours à s’engager dans un apprentissage, et à y rester. D’autant que ce désir est secondaire, il vient après une double déception. Et pourtant…

Léonor de Récondo est violoniste, elle décrit cette première leçon avec délicatesse. On sent qu’elle connait parfaitement la technique, mais ce qu’elle montre se situe ailleurs, dans un accueil, une complicité.

Extrait

Ilaria s’approche de la cheminée, le petit violon et l’archet sont posés sur une table à côté de la chaise où est assise Giuletta. Elle l’invite à s’approcher plus encore.
Viens, viens les voir.
L’enfant, dont seule buste dépasse de la table, regarde l’instrument couleur miel.
Prends-les dans tes mains.
Ilaria n’ose pas. Le respect déjà. Giuletta l’encourage.
Vas-y, tu vas voir comme il est léger.
Ilaria prend le violon par le manche, s’étonne en effet du poids plume. Si léger. L’image de Maria traverse son esprit, elle n’a pas besoin d’instrument, elle, juste d’une voix.
Giuletta semble lire ses pensées. Oui, il va devenir ta voix.
Ilaria en a la gorge toute sèche.
Pose-le à la base de ton cou.
L’enfant pose le poids plume sur sa clavicule. Elle louche en regardant les ouïes, le chevalet, cette vue nouvelle qui deviendra son paysage intérieur.
Quatre cordes, et toute la musique sous ses doigts.
Elle a si peur que l’instrument lui échappe qu’elle serre fort le manche dans son poing. Giuletta rit.
Il ne va pas tomber ! Attends, je vais chercher mon violon et on va jouer ensemble.
Bientôt, sans archet, la transmission commence. Giuletta pince une corde avec son index doit.
Fais comme moi.
L’enfant joue son premier pizzicato. Chaque fois que Giuletta lui fait signe, ensemble, elles font vibrer les quatre cordes, l’une après l’autre. Un son fragile et peureux, mais un son quand même, qui peu à peu prend de l’assurance.
Longue route qui s’annonce avec vue intérieure sur l’ébène de la touche.
Ilaria voudrait prendre l’archet.
Plus tard, la prochaine fois, peut-être. Pour l’instant, fais les mêmes gestes que moi.
Et Ilaria se laisse porter.

Commentaire :

Comment apprend-on ? Et pourquoi s’empare-t-on de tel ou tel moyen d’expression, de telle ou telle technique ?

Dans ce texte, nous sont donnés :

  • La motivation d’Ilaria, obtenir une voix
  • Le rapport qui se construit entre l’élève et l’enseignante
  • Celui qui se crée entre Ilaria et le violon.

Cette relation va s’enraciner sur une déception, une frustration. Le violon pourrait n’être qu’un pis-aller, il devient un chemin de vie. Qu’il apparaisse après une série d’obstacles est intéressant.

On sent que l’auteure connait le violon à la manière dont elle place certains détails « une vue intérieure sur l’ébène de la touche », « pincer la corde avec son index droit », les termes précis qu’elle emploie, « pizzicato »… Elle n’explique rien, ne justifie rien, elle montre.

Ce qui m’a touchée, est la manière dont Giuletta, pourtant décrite comme sérieuse, rigoureuse, se met à la portée de sa jeune élève. Dans ce premier moment, elles jouent déjà ensemble. Le dialogue pourrait être mental au lieu de parlé – il débute d’ailleurs ainsi. J’ai aussi été sensible au contraste entre la rigueur et la douceur.

Pistes d’écriture :

Une passion qui nait : « Le premier cours de xxx, c’est le début d’une vie nouvelle sans qu’on le sache, sans qu’on puisse en retenir la date précise, à peine l’année. En entrant dans la salle pour cette première fois… » Poursuivez, inscrivez le domaine que vous souhaitez.

Racontez une transmission, du point de vue de l’enseigné, ou de l’enseignant. Créez un équilibre entre des détails précis, des termes, des postures, des ressentis expérimentés, et l’ivresse ou la difficulté de la découverte. Quelles seront les suites ? Poursuite, réinterprétation, abandon ?

Poursuivez l’histoire.

Emparez-vous d’une ou deux phrases, et poursuivez.

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