Arrivée en terre inconnue, par Cathy Shimpf
Piste d'écriture: Inscrire un personnage dans différentes registres avec Le cœur synthétique, de Chloé Delaume.
Le cœur d’Adélaïde battait à toute allure dans sa poitrine, accélérant sa respiration. On aurait dit que des mains tapaient frénétiquement sur son tambour intérieur, tandis qu’elle s’agrippait des deux paumes au volant tout en cherchant ses repères dans cette ville qu’elle découvrait et dans laquelle elle espérait ne pas se perdre. Les yeux rivés sur le petit appareil fixé sur son pare-brise et qui était censé la mener à bon port, elle sentit un pincement en voyant qu’il commençait à manifester des signes de faiblesse. Il affichait « Arrivée à votre destination dans cinq minutes ; attention batterie faible. » Des gouttes de sueur commençaient à perler sur son front et ses mains moites à trembler mais elle s’efforçait de rester concentrée et de garder le contrôle de ses pensées : elle n’allait pas tarder à sortir de sa chrysalide et à prendre un nouvel envol. Ce n’était tout de même pas la chaleur, même encore caniculaire, de ce mois de septembre qui allait l’en empêcher !
C’était bien ce qu’elle souhaitait, depuis sa rupture avec Elias : prendre un nouveau départ. Une vie juste à elle. C’est pour cela qu’elle avait décidé de quitter son ancienne vie. Et tant qu’à faire, autant en profiter pour changer de travail, de ville et partir le plus loin possible pour fuir les souvenirs douloureux d’un passé heureux. Puisqu’à présent son cœur n’était plus à personne et qu’elle n’habitait plus le cœur de personne. Après sept courtes années d’un bonheur presque sans faille, celui-ci s’était soudain brisé. Il avait volé en mille éclats comme un miroir qu’on aurait jeté violemment à terre. Pourvu que ne lui succède pas sept longues années de malheur… Mais elle avait décidé de laisser derrière elle sa tristesse et ses angoisses pour affronter la solitude. Mais une solitude qui n’appartiendrait qu’à elle. Mieux vaut s’ennuyer seule qu’en mauvaise compagnie !
Enfin arrivée à destination, avec seulement dix minutes de retard, sa respiration se fit plus ample. A son grand soulagement, le propriétaire du petit meublé dans lequel elle allait s’installer l’attendait et paraissait aussi soulagé qu’elle en l’apercevant. S’extrayant à grande peine de sa petite Clio, pleine à craquer, chargée de toutes ses possessions, elle étira ses membres engourdis. A la vue de ses affaires entassées dans ce petit véhicule, elle s’étonna que sa vie tienne à présent dans aussi peu d’espace. Elle n’en revenait toujours pas d’avoir réussi à caser toutes ses affaires dans cet espace réduit. Elias lui aurait dit que ça n’était pas possible, mais pour elle aujourd’hui tout était possible.
Il y avait là :
- quelques cartons de vaisselle, de livres,
- des CD, marqueurs de sa génération et dont elle n’avait pas su se défaire,
- des sacs remplis de ses vêtements, chaussures et bijoux fantaisie,
- et aussi ses photos encadrées, qui attendaient de venir personnaliser son nouvel intérieur.
Et enfin, une glacière pleine de victuailles, d’eau et de glaçons, comme si elle craignait de mourir de faim, de soif ou de chaud. A défaut de mourir d’amour.
Après que le propriétaire l’eut fait entrer dans le bâtiment, ils croisèrent dans les escaliers un homme grand et mince aux traits anguleux qui les salua aimablement. Il avait des mains fines qu’il agitait devant lui en parlant et, de son attitude, émanait une impression de douceur et de fragilité. Ils se présentèrent. C’était le voisin du second qui descendait récupérer des packs d’eau laissés au bas des escaliers. « La corvée des courses », expliqua-t-il en écartant les mains. « Après ça, j’ai terminé ; si vous voulez, je pourrai vous aider à décharger vos cartons », proposa-t-il en rougissant légèrement. Adélaïde esquissa un sourire. Elle le remercia. Son appartement se trouvait au 3ème, juste au-dessus de celui du charmant inconnu dont elle n’allait pas tarder à faire la connaissance…
Copyright: texte Cathy Schimpf, Photo de Antony Freitas sur Unsplash