Une marguerite, par Florence Valat
Piste d'écriture: Imaginez ce qui pourrait aider votre personnage à se remettre en mouvement s’il est arrêté, l’inciterait à se recentrer s’il bouillonne, le sortirait de son ressassement, lui offrirait d’autres perspectives (à partir de Titus n'aimait pas Bérénice).
Elle est mère au foyer et déteste cette appellation. Car elle est mère, certes, au foyer, c’est encore vrai. Mais elle n’est pas que ça. Elle est épouse, lectrice, jardinière, cuisinière, femme de ménage, soignante, consolante, aimante, passionnée, styliste et possède dans la tête une horloge ainsi qu’un pense-bête.
Lorsque les enfants sont à l’école, chacune de ses journées se ressemble beaucoup. Vérifier la liste des courses, les faire si besoin, débarrasser la table du petit déjeuner, vider le lave-vaisselle, étendre la lessive, nettoyer le salon et la cuisine, ranger le bazar dans chacune des trois chambres des enfants, penser à faire un saut a la médiathèque pour ne pas être en retard sur le retour du prêt des livres avant d’aller chercher les filles à l’école. Ah, oui et ne pas oublier le goûter.
Chacune de ses journées se ressemble donc et ce matin, sur le parking de l’école, une fois les filles rentrées dans la cour, elle se sent une boule d’angoisse dans le ventre à l’idée de rentrer chez elle. Elle n’a aujourd’hui pas envie de faire son train-train habituel. Ça l’ennuie. Oui c’est ça, elle s’ennuie. Elle s’ennuie dans sa vie monotone et voudrait faire autre chose que ranger - nettoyer - aspirer. Autre chose, mais quoi ? Elle ne sait pas. Elle songe à tout cela, toujours garée sur le parking de l’école.
Puis, elle se décide enfin à enclencher la première, direction la maison. Une fois sur place, ses yeux tombent sur la grande table : pot de Nutella ouvert, cuillères grasses à moitié léchées, taches de confitures à la fraise, pains délaissés et verres nappés de traces de lait. Mais là, elle n’a pas envie. De ranger-nettoyer-aspirer.
Soudain, elle se dit qu’aller faire un tour en ville lui ferait du bien. Aussitôt dit, aussitôt fait, la voilà qui marche d’un pas rapide vers l’arrêt de bus. Arrivée dans le centre-ville, elle furète, admire chaque vitrine. Elle n’a besoin de rien acheter, pas même des vêtements pour ses enfants. Ses trois filles sont rapprochées et se passent leurs vêtements. Pour l’ainée, c’est leur tante qui donne les vêtements de la grande cousine.
Elle traverse la grand-place. Ça grouille. C’est agréable, tout ce monde Elle se demande alors, que font tous ces gens ? Où vont-ils ? Elle se plait à marcher au hasard. Et soudain, dans une rue, elle remarque que le vieux cinéma a été remplacé par un magasin d’arts créatifs. Comme il a l’air grand ! Ça lui fait envie.
Elle pousse la porte et aussitôt, la voilà au milieu des grandes feuilles cartonnées et bigarrées, des feutres et peintures, des kits de broderies, de colles en tout genre et de boites de crayons plus ou moins grandes. Son regard s’arrête sur un magnifique nécessaire de peinture à l’aquarelle. Elle le trouve absolument ravissant ! À ce moment, un vendeur lui demande s’il peut l’aider. Elle est gênée et ne sait que dire. Le vendeur lui demande si elle s’y connait en aquarelle. Elle bafouille un non intimidé. Le vendeur lui explique alors que dans ce set, elle trouvera tout le nécessaire pour débuter, puis lui propose des feuilles au grain spécial et enfin, un manuel intitulé « Comment débuter en aquarelle », avec indiqué au-dessous, en plus petit, « Les jardins fleuris ». Toujours gênée, elle s’empare du livre. C’est vrai qu’il est joli avec ces fleurs, toutes plus charmantes les unes que les autres. Le vendeur lui assure qu’avec cet ouvrage, elle pourra se mettre à peindre très facilement et avoir des résultats rapides. Elle hésite une seconde et puis se dit, oui après tout, pourquoi pas essayer ? Elle a envie de se prendre au jeu.
C’est donc le bras chargé d’un sac estampillé du nom du magasin qu’elle ressort de la boutique, toute guillerette. Cet achat lui a donné de l’entrain. Dans le bus retour, elle se dit pourtant que non, finalement, ça n’est pas pour elle et qu’il vaut mieux offrir ce set de peinture à ses filles. Et pourtant, une fois arrivée chez elle, sans y penser, elle débarrasse la table du petit déjeuner et pose une feuille fraichement sortie de son étui sur la table. Elle ouvre alors le manuel, lit attentivement les conseils sur le dosage de la couleur et de l’eau, et puis comme indiqué, s’applique à dessiner une marguerite. D’abord la tige, bien fine avec l’angle du pinceau puis sa feuille, plus épaisse mais affinée à la pointe. Ensuite le cœur, bien rond, et enfin les pétales qui ne sont pas aisés à exécuter, car ils doivent tous être semblables. La fleur finie, elle contemple le résultat. Elle n’est pas peu fière. Sa marguerite est vraiment réussie.
C’est ainsi qu’elle passe toute sa journée à peindre des fleurs, en oubliant de déjeuner. L’heure de la sortie de classes approchant, elle étale ses cinq feuilles colorées sur la table pour les laisser sécher et part chercher les filles. Elle se sent bien dans la voiture sur le trajet. Elle récupère ses filles qui ont, elles aussi, passé une bonne journée.
Arrivées à la maison, les trois sœurs remarquent tout de suite les feuilles peintes disposées sur la table et complimentent leur mère de « Oh, comme c’est joli ! », « Maman, quel talent tu as ! », « Je peux en prendre un pour moi ? ». Alors elle se sent fière et heureuse, la maison est en bazar, mais elle n’en a que faire, il est tellement doux de voir dans le regard de ses enfants leur fierté, et même et leur admiration pour elle, et son cœur à elle se remplit alors de satisfaction et d’amour. Fini l’ennui !
texte: Florence Valat. Photo de Museum of New Zealand Te Papa T