Perdue, par Florence Valat
Piste d'écriture: Quand le banal se dérobe.
Le papier peint défraichit la frappe comme une anomalie. Le ventilateur qui tourne en bringuebalant grince. Et ce grincement lui scie les oreilles. Elle a mal à la tête et un grand verre d’eau lui ferait du bien. Elle ne voit pas, dans la pénombre, où se trouve la salle de bain. Il y en a-t-il au moins une ? Elle n’ose pas bouger du lit. Elle pourrait éveiller les soupçons. De qui ? De quoi ? Elle ne sait pas et peine à réfléchir. Elle ne sait même pas ce qu’elle a fait hier. Ni où elle était.
Elle entend gronder des plomberies, gémir un ascenseur, et quelque part en bas un brouhaha de petit-déjeuner. Une grande maison ? Non, un hôtel.
Ses pieds se trouvent hors du drap. Elle se contorsionne sous la couverture et se positionne en fœtus. Que fait-elle là ? Elle ne sait plus. A-t-elle au moins son sac à main ? Ouf ! Elle le devine posé sur la chaise contre le mur. Est-ce que cette chambre est fermée à clé ? Elle se redresse pour regarder du côté de la porte. Elle ne voit pas de clé. Et si elle était enfermée ici ? Elle sent une panique la saisir qui lui bat dans les tempes. Qui est-elle ? Elle se lève, alors et va fouiller dans son sac à main et empoigne son portefeuille. Tout y est ; sa carte vitale, sa carte de crédit, sa carte d’identité aussi. Alice Martin, c’est son nom. Du moins c’est ce qu’elle lit péniblement à la lueur filtrée par les persiennes.
Elle a dormi tout habillée. La ceinture de sa jupe lui fait mal au ventre. Elle la dégrafe. Elle se sent mieux. Elle respire. Elle n’a pas faim. D’ailleurs, descendre au petit-déjeuner serait trop risqué. Risqué pourquoi ? Elle ne sait pas. Mais elle sent qu’elle serait plus en sécurité à rester ici dans cette chambre.
Et si une femme de ménage venait à rentrer ? Elle a peur et ne veut pas être vue. Elle n’ose pas allumer sa lampe de chevet. Lampe de chevet à l’ancienne, avec le petit interrupteur situé au bas de l’ampoule. Rester dans la même position lui fait mal au dos, mais elle reste lovée. Ses deux mains posées sous sa tête. Elle voudrait se rendormir afin de se réveiller l’esprit clair, mais elle n’y arrive pas. Elle se décide à chercher la salle de bain. Elle s’assied sur le lit et voit, juste en face, une porte entrouverte. C’est surement ça. Elle pose ses deux pieds nus sur la moquette rêche. Et se dirige vers la salle de bain. Elle allume un tube qui se met à clignoter. « Le filament de l’ampoule ne va pas tarder à éclater », se dit-elle. Elle inspecte le lavabo. Pas de verre, encore moins de savonnette emballée. Elle se penche et boit au robinet. Se passe de l’eau sur le visage puis se regarde dans la glace. Oui, c’est bien elle, Alice Martin. Enfin, elle croit. Elle n’est plus trop sûre de rien maintenant.
Que fait-elle ici ? Est-elle venue de son plein gré ou a-t-elle été droguée et emmenée de force ici ? Là, dans ce vieil hôtel qui sent la poussière. Elle ne sait même pas dans quelle ville elle se trouve. Est-elle en France ? Elle ne sait pas. Elle a mal à la tête et retourne fouiller dans son sac à main à la recherche d’un paracétamol. Elle n’en trouve pas. Serait-elle prisonnière ici ? Elle lit le verso de sa carte d’identité : 21, rue de la Boissière, 75012 Paris. Elle farfouille dans son sac et trouve un jeu de clés. Une lueur d’espoir la prend. Vite, rentrer chez elle, enfin ! À cette adresse ! Surtout, que personne ne la voie.
Avec hâte, elle enfile ses escarpins et empoigne son sac à main. Elle tourne alors tout doucement la poignée. Se retrouve dans un couloir mal éclairé. Elle marche, à pas feutrés, droit devant elle. À sa droite, un ascenseur et un escalier. Elle se décide à prendre l’escalier. Elle pose délicatement ses pieds l’un après l’autre sur les marches. Elle se retrouve dans le hall de l’hôtel. L’hôtelier à son comptoir est en train de bavasser, avec un client sans doute. Elle se cache derrière une colonne.
Le client a fini par s’en aller et l’hôtelier a le dos tourné. C’est maintenant ou jamais ! Elle court jusqu'à la porte vitrée qui s’ouvre toute seule et se retrouve dans la rue. Le soleil sur son visage lui fait du bien. Elle continue à courir et tombe sur une bouche de métro parisienne. Elle regarde le plan : aucune station de métro ne lui est familière. Elle s’approche un peu plus près du plan et lit « Boulevard Sébastopol ». Ça lui dit quelque chose. Elle s’arrêtera là. Une fois dans la rame, elle s’assied, abasourdie. L’odeur de transpiration et de chauffage lui devient alors familière. Son arrêt approche. Lorsqu’ elle descend, elle trouve un plan et déchiffre le nom de sa rue. Aller sur le trottoir d’en face et prendre la deuxième à gauche. Elle n’hésite pas une seconde. Elle ne court plus, mais marche vite cette fois, le regard fixé sur les plaques des rues. Elle se retrouve devant un immeuble. Son badge passe. La lourde porte s’ouvre. Elle regarde la boite aux lettres et y trouve son nom ; «3ème étage gauche ». Elle fonce. Arrivée devant la porte, elle essaie plusieurs clés. Enfin elle y arrive ! La porte s’ouvre et là, comme par miracle elle reconnait son chez elle. Le porte-manteau, le petit banc blanc sous lequel sont alignées ses chaussures, la cuisine bleue, le salon avec son canapé rouge et ses multiples plantes. Les photos accrochées au mur. Elle reconnait les visages. Ici, l’anniversaire de sa sœur Gabrielle. Là, elle qui pose avec son neveu Félix. Elle soupire de soulagement.
Et se décide à se préparer un thé, se demandant où elle a bien pu passer la nuit la veille.
Qu’est-ce qui l’a rendue si perdue ? Que cache cette amnésie ? Elle ne le saura sans doute jamais, maintenant.
Photo de Mike Hindle sur Unsplash