Le stylo doré, par Didier Chabbert
Piste d'écriture: Magnifica et le stylo doré
Moi, je dors tranquillement dans ce magasin parmi mes semblables. Argentés ou colorés sobrement, chacun à sa place sur le présentoir. Un présentoir parmi d’autres, feutres, crayons de couleur, ou même des cahiers – à spirale ou non –, des agendas ou d’autres objets de papeterie.
Oui, je dors tranquillement. Les clients potentiels circulent dans les rayons, mais peu s’intéressent à moi, préférant les couleurs vives de ceux qu’on appelle les stylos-billes.
Je ne sais pas pourquoi, cet homme élégant et fort bien habillé s’est penché vers moi, allant jusqu’à me prendre entre ses doigts pour m’évaluer et me tester. Manifestement, j’ai dû lui plaire, alors que je pensais séduire une femme. Bref, mon destin se joue maintenant.
Me voilà arrivé à la caisse où l’on me met dans une boîte, qu’on affuble d’un papier d’emballage et, supplice, d’un ruban rose ridicule. Me voilà parti pour un autre lieu, une autre vie.
L’homme s’appelle Andréa, il est italien, je m’en doutais un peu.
Je suis encore dans ma boîte, somnolent, mais un peu inquiet car je sens que ça bouge autour de moi. Il va se passer quelque chose. On me déshabille et là, je comprends que je suis un cadeau. La boîte ouverte, quelqu’un me prend dans sa main. Je sens qu’il s’agit cette fois d’une main de femme délicate. Elle dit merci. Elle s’appelle Magnifica, un prénom incroyable… Mais… Je lui glisse des mains et chute à terre, ça commence bien ! Moi, le stylo doré, si fin, si joli, si précieux, comment peut-on me laisser tomber ? Je ne lui pardonnerai pas.
Andréa explique : « Fais attention voyons, il faut le serrer dans tes doigts, le stylo est si fin. »
Peu à peu, Magnifica va tenter de m’apprivoiser pour écrire des mots, des lettres, des petits billets d’amour, en me serrant bien entre ses doigts. Je me laisse faire et donne jour à des phrases sur la page blanche.
Chaque matin, c’est le même cérémonial, je suis devenu son objet fétiche, elle me cherche, c’est obsessionnel. Elle me cherche trop ! J’adore me cacher, elle a tellement peur de ma perdre que c’est elle-même qui me pose dans des
endroits incongrus. La nuit, elle se réveille en sursaut et tourne dans la maison comme un fantôme égaré, me cherchant à tâtons entre les pages d’une revue, dans une grille de mots croisés, parfois même dans la salle de bain au milieu des crayons à paupières… tandis que je me cache, plus classiquement, dans la poche intérieure de son sac à main…
C’est ma vengeance et sa malédiction. Magnifica a si peur de me perdre, je suis devenu le substitut d’Andréa, et sans moi, elle se sent nue.
Etait-ce l’histoire que je devais écrire, que ce destin comme scellé par un rapport affectif entre une Magnifica, magnifique mais affolée, et son cher stylo doré si fin, si fin ?
Didier Chabbert, 17 sept 25. Photo de Dahee Jeoung sur Unsplash