Alter ego, de Roselyne Crohin

Piste d'écriture: "Tu, ne, penses quand même pas qu'on...", ou une relation toxique.
A partir d'un passage de « Les enfants sont rois » où Delphine de Vigan présente sa protagoniste, Mélanie, comme une fille constamment rabaissée par sa mère, imaginer ce qu'elle deviendra en quittant sa famille ou comment les choses pourraient tourner autrement pour elle.


Après une enfance et une adolescence brimées, Mélanie a osé quitter sa famille toxique et aller s'installer à Paris pour suivre des études universitaires. Elle habite une chambre de bonne dans le 7ème arrondissement, en échange de quatre soirées par semaine de baby-sitting.

Le jour de la rentrée, dans l'amphithéâtre de Censier, une brune aux cheveux courts, pleine d'assurance, prend place à côté d'elle et lui adresse la parole comme si elles se connaissaient.
– Salut ! Ça va ? Tu n'attendais personne ?
– Non, c'est bon.
Mélanie lui a répondu du bout des lèvres. Quand elle ne connaît pas, elle reste sur ses gardes. Mais la fille, plutôt culottée, ne désarme pas et de temps à autre, lui lance des remarques, jusqu'au moment où avec son « Élémentaire, mon cher Watson », elle déclenche un petit rire étouffé chez son interlocutrice. Ça y est, la glace est rompue.
– Faustine, je m'appelle Faustine. Et toi ?
– Moi, Mélanie, chuchote-elle, en mettant sa main devant sa bouche.
– Je viens de La Rochelle. Et toi ?
Mélanie voudrait bien continuer à suivre scrupuleusement ce premier cours de grammaire anglaise, mais La Rochelle, quand même, ça lui parle. C'est à 100 km de chez elle. Elle connaît bien cette ville où elle adore aller se balader dès qu'il fait beau.
– Moi, de Poitiers, répond-elle, en lui adressant son premier sourire.
–  Ah c'est drôle, j'ai failli m'inscrire à Poitiers, mais finalement, j'ai préféré Paris.
–  Moi aussi, même si je galère un peu pour me loger, répond Mélanie, toujours mezza-voce.
– Chuuut !
L'injonction vient des deux filles assises derrière elles, les faisant taire instantanément.

A la fin du cours, Faustine reprend.
–  Moi, je suis en coloc. Pour le moment, il n'y a pas de place, mais peut-être que dans quelques mois, on ne sait jamais, lance-t-elle en lui adressant un petit signe d'au revoir avec la main. 
Mélanie trouve que Faustine va un peu vite en besogne. Lui proposer d'habiter ensemble alors qu'elle ne se connaissent que depuis moins d'une heure !

Un peu plus tard dans la journée, elles se croisent dans les couloirs de la fac.
–  Ça te dit de prendre un pot à la cafet ? lui propose Faustine.
–  D'accord, répond Mélanie, sans sortir complètement de sa réserve.
Faustine est bavarde, extravertie, mais elle ne connaît encore personne à la fac. Mélanie lui plaît car toutes les deux ont fait la même démarche de venir étudier à Paris, loin de leur famille. En plus, elles viennent de villes voisines. Ça crée des liens et à deux, on se sent plus fort. Mélanie voit bien qu'elles sont de caractère opposé, mais elle sent qu'avec Faustine elle pourra plus facilement sortir de sa coquille. Elles échangent leur numéro de téléphone et leur adresse, et promettent de se retrouver au prochain cours en amphi. La première arrivée gardera la place de l'autre. Pour les options, elles ne seront sans doute jamais ensemble, mais les cours de tronc commun sont assez nombreux. 
Ce soir-là, Mélanie rentre d'un pas plus léger dans sa chambre de bonne du 7ème arrondissement, au 7ème étage, avec vue sur la Tour Eiffel, en se tordant le cou.

Très vite, Faustine qui fait connaissance facilement est invitée à des soirées d'étudiants. Elle propose à Mélanie de l’accompagner. « Tu es sûre que je peux venir ? » s'inquiète-t-elle. Mais au fond, elle est ravie de saisir une occasion qui ne se serait jamais présentée sans l'intermédiaire de Faustine. 
Dans ces soirées, elles rencontrent des garçons et des filles de tous les pays. Et pour échanger avec eux, il n'y a que l'anglais, même si ce n'est pas souvent avec l'accent d'Oxford. 
« Where do you comme from ? » se surprend à interroger Mélanie. Le jeune homme qui se trouve à côté d'elle a un fort accent du fin fond du Texas. Enfin, elle n'en est pas trop sûre. C'est plutôt l'idée qu'elle s'en fait d'après les westerns qu'elle a vus à la télé. Elle ne comprend pas grand-chose au reste de la conversation, mais arrive à expliquer tout de même qu'elle étudie l'anglais en 1ère année à Censier. C'est plus facile de converser avec Pedro qui vient du Pérou et qui cherche aussi ses mots, tout comme elle.

Au cours de ces soirées, qui se répètent parfois deux ou trois fois par semaine, elles enrichissent très vite leur vocabulaire et surtout, améliorent la fluidité de leur conversation. Elles se mettent même à penser en anglais. Faustine, toujours très entreprenante a toujours un plan pour aller passer un week-end à Londres ou à Amsterdam, avec logement gratis. Petit à petit, ses manières délurées déteignent sur Mélanie. 

Elles sont tellement soudées toutes les deux que les garçons ont du mal à les approcher. Pas d'aventure sentimentale pour le moment. D'ailleurs, Faustine a été larguée par son premier amour juste avant le bac et elle n'est pas près de se remettre en couple, a-t-elle juré à Mélanie dès les premiers temps de leur amitié. De son côté, Mélanie ne se sent pas prête pour un premier amour. Elle a vu trop de copines souffrir comme son amie. Elle préfère leur amitié, lui a-t-elle confié un jour, en la serrant chaleureusement dans ses bras.

Leur amitié n'est pas étouffante non plus. Il reste de multiples choses qu'elles ne font pas ensemble. Elles ont aussi évité de travailler dans les mêmes sous-groupes, d'autant plus qu'elles n'ont pas choisi les mêmes options. D’ailleurs, après quelques mois de fac, Mélanie se surprend à aller vers d'autres étudiants ou étudiantes et à se joindre à eux pour aller au ciné, à la cafèt ou aller voir une expo.

Au printemps, comme Faustine l'avait prévu dès la rentrée, une chambre se libère dans sa coloc. Et puisque Mélanie y passe déjà une bonne partie de ses soirées, elle est acceptée sans difficulté par les autres colocataires. Ses baby-sittings du 7ème arrondissement sont remplacés par d'autres, bien plus avantageux, chez de riches Anglais ou Américains, rencontrés lors de leurs soirées cosmopolites.

Cette première année universitaire passe très vite. Mélanie ne rentre plus qu'une seule fois par trimestre chez ses parents. Et encore, au cours de ces week-ends prolongés qu'elle s'arrange à prendre en même temps que son amie, elle se rend souvent à La Rochelle, soit pour aller à la plage, soit pour flâner en ville et passer du temps dans les cafés qui sont bien plus animés qu'à Poitiers. Pour les grandes vacances, elles ont prévu de trouver un job alimentaire pour un mois, puis de partir le reste du temps, moitié en avion, moitié en stop, de traverser la Croatie et les Balkans et peut-être d'aller jusqu'en Turquie, à moins de se poser sur une île grecque.

En un an, Mélanie est tellement métamorphosée qu'il est difficile de la reconnaître. La jeune-fille introvertie, qui manquait d'assurance et qui avait toujours peur de l'échec s'est épanouie, a embelli et commence à échafauder des projets d'avenir. Sa mère, évidemment, a remarqué sa transformation. Elle ne se permet plus de lui donner des ordres. D’ailleurs, sa fille passe tellement peu de temps à la maison qu'elle n'en a même pas l'occasion. Pour autant, les relations mère-fille ne se sont pas améliorées, mais on dirait que les rôles se sont inversés. C'est maintenant Mélanie qui pourrait dire à sa mère : « Tu ne vas tout de même pas sortir comme ça », si elle trouve que sa mère a une tenue trop négligée. Quant à elle, elle se permet toutes les audaces vestimentaires, passant des tenues les plus folkloriques, rapportées de ses voyages, à des tenues moulantes et sexy qui mettent en valeur son corps de liane. Elle est désormais autonome financièrement, grâce à sa maîtrise de l'anglais qui lui offre beaucoup d'opportunités.

De son côté, Faustine prend aussi de plus en plus de distance avec ses parents, mais pas pour les mêmes raisons. Ceux-ci, séparés, depuis son entrée en fac ont chacun de leur côté rencontré un nouveau compagnon ou compagne, et sont trop focalisés sur leur nouvelle relation pour consacrer du temps à leur fille. 

Les deux amies n'en ont que plus de raison de s'émanciper de leur famille pour entrer dans leur vie d'adulte.

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