Dialogue et narration, avec Thomas B. Reverdy, Les évaporés
Le roman
Thomas B. Reverdy, Les évaporés, éd. Flammarion 2013, J’ai lu 11101
Le roman se déroule en 2012, entre San-Francisco et le Japon, et environ un an après la catastrophe de Fukushima. Richard B. a vécu trois ans avec Yukiko, une Japonaise venue aux Etats-Unis pour devenir actrice et qui, entre deux engagements, est serveuse. Quand le roman commence, elle considère que « Richard est son seul ami, même s’il était impossible de vivre avec lui. » Le passage sur lequel nous nous appuierons est écrit de son point de vue à lui.
Ce passage noue avec souplesse les dialogues à la narration, aux pensées, ressentis, actions.
Le texte exemple
...Après tout, ils n’avaient jamais été amis.
Jusqu’à ce qu’elle l’appelle, affolée, au milieu de la nuit, le réveillant en sursaut et le projetant hors de son lit, faisant dégringoler les deux ou trois piles d’objets en tous genres dans lesquels il a balancé un grand coup de pied, dans le noir, avant d’atteindre le téléphone. Son père avait disparu.
« Comment ça, disparu ?
– Parti, envolé, plus de nouvelles. Oh, Richard, s’il te plait.
– Bien sûr. Je suis là. Je vais t’aider. »
On ne devrait jamais rendre service à une ex-petite amie. Richard ne connaissait même pas ses parents. Le bonhomme avait disparu depuis plusieurs jours et personne ne savait où. La police ne faisait rien. Sa mère pensait à un enlèvement, un conflit avec un concurrent, un problème avec les yakuzas.
« Comment ça, les yakuzas ?
– Richard, tu sais bien. Mes parents vivent encore au Japon.
– Attends une minute. Comment ça, au Japon ?
– Richard ! Tu ne vas pas répéter tout ce que je dis. Oh, Richard. Oh, Richard.
– D’accord. Au Japon. Arrête de crier dans le téléphone, s’il te plait. »
Il avait eu le temps d’allumer la lumière. De se frotter énergiquement les yeux. De là où il était, il pouvait voir toute sa chambre même sans ses lunettes, le bazar invraisemblable qui régnait là-dedans et, sur la petite table qui lui servait de bureau, les piles de factures qui s’étaient accumulées ces derniers temps.
Commentaire
On voit combien le contexte est important pour entendre les paroles et interpréter les échanges. Ici, les réparties nous apprennent quelques faits (la disparition du père, les yakuzas…), mais elles nous renseignent surtout sur l’état émotionnel des deux protagonistes et leurs liens.
Les informations factuelles sont complétées en mode narratif (« Le bonhomme avait disparu depuis plusieurs jours et personne ne savait où. La police ne faisait rien. Sa mère pensait à un enlèvement, un conflit avec un concurrent, un problème avec les yakuzas. ») Mais d’avoir été introduites par un dialogue rend ces données plus vivantes.
Dans la deuxième partie de leurs échanges – « Est-ce que ça va, toi ? Tu tiens le coup ? » – le dialogue a un autre rôle : rassurer, écouter, montrer qu’on écoute. C’est une intimité qui se reconstruit, une manière d’être ensemble.
On a aussi vu Richard agir (ouvrir la fenêtre) et réagir presser son oreille au combiné. Réinsérer les paroles dans un contexte et un environnement rend l’enchainement d’un dialogue et ses conséquences éventuelles plus naturels. Ce qui va pousser Richard à accompagner Yukiko au Japon alors qu’il déteste les voyages n’est pas seulement ce qu’elle lui a appris, c’est son ton désemparé à elle, c’est son espoir à lui de renouer leurs liens. Réveillé en sursaut, il ne tente même pas de prendre du recul.
Piste d’écriture :
Ecrivez une scène avec quelques répliques dialoguées.
- Décrivez le lieu et le moment, les bruits ambiants, la lumière, les mouvements (on ne se parle pas de la même façon face à face dans des fauteuils, en train de marcher ou à distance)
Préciser les tons de voix et les postures. Donnez-nous accès à quelques pensées et ressentis.
- Vous pouvez préciser le contexte affectif par un court retour en arrière.
- Piochez en fonction de ce que demandera votre situation ! Vous avez votre situation en tête : trouvez deux ou trois répliques qui retiennent l’attention ou qui intriguent, développez tout en mettant en contexte.