Trois coups de sonnette, comme d’habitude, Marthe, par Didier Chabbert

 

Richard a pris l’habitude de veiller tard le soir pour travailler les dossiers difficiles. Bien que son activité professionnelle soit devenue moins intense depuis l’avènement de Chat-GPT, il traîne en chaussettes jusqu’au milieu de la nuit, cigarette sur cigarette devant son écran. Son espace de travail ne se distingue pas de la chambre, le tout fondu dans un capharnaüm de livres, de cendriers, de canettes et d’objets inutiles. Seul le chat se sent à l’aise dans ce fouillis et passe le plus clair de son temps à dormir sur la couette.
Marthe habite trois stations de métro plus loin. Marthe est comme l’envers de Richard : un appartement lumineux, bien rangé, un métier dans la Fonction Publique, des horaires réguliers, levée à sept heures, couchée à vingt-deux heures trente.
On comprend pourquoi Marthe et Richard ont choisi de vivre séparément depuis un an. Ils sont restés bons amis. L’amour n’y est plus vraiment, mais l’attachement demeure solide.
Il est deux heures du matin, Richard travaille sur l’affaire « Duchemin », un ancien dossier d’un homme mort dans l’ascenseur, Albert Duchemin, un homme ordinaire, comptable et peu bavard, dont la mort reste inexpliquée. Les tasses de café, entre deux cigarettes, tiennent difficilement Richard éveillé. Il attendu plusieurs sonneries avant de décrocher : ses clients n’appellent pas à cette heure là, et Duchemin est bien mort. Le chat ouvrit un œil interrogatif…


«Richard, s’il te plait…
- Marthe, je t’écoute, que t’arrive-t-il pour appeler à cette heure là ? 
– Je ne dors pas, je n’arrive pas à dormir et il est deux heures et quart. »
Le ton, la voix de Marthe, ne sont pas habituels. Ni rapides, ni inquiets, plutôt étranges.
« J’ai peur des araignées, je n’ai pas eu mes règles, je suis peut-être enceinte…
- Enceinte ? Mais de qui ? De moi ? »
- Je ne sais pas Richard, je ne sais pas ?
- Si tu as envie de fraises, je ne vois pas où en trouver à cette heure-ci, mais ne t’inquiète pas Marthe, j’arrive, je suis là dans vingt minutes. Trois coups de sonnette, comme d’habitude. »
Duchemin attendra ! Il ferme l’ordinateur, écrase sa cigarette dans la tasse de café, le chat se rendort.
Station Guy Moquet, 7 rue Legendre, 3ème étage, trois coups de sonnette, la porte s’ouvre. Marthe se jette dans les bras de Richard... Elle pleure.
Richard referme ses bras sur elle. Un enfant, pourquoi pas ? Mais Marthe, surtout. Être là pour Marthe, qui a si peu l’habitude de l’inattendu et du désordre – avec lesquels il est, lui, si habitué à composer. Oui, Duchemin attendra.
 

Photo de Nick Fewings sur Unsplash

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