Les petits malheurs de Mélanie, par Bernard Delzons

C’est à partir d’un extrait du livre « Les enfants sont rois » de Delphine de Vigan, racontant l’histoire de Mélanie, partie faire des études supérieures en s’opposant à sa famille, que j’ai imaginé une suite à ma façon…

Après s’être battue pour son indépendance et après avoir commencé des études supérieures, Mélanie avait brusquement abandonné ses projets lorsqu’on lui avait proposé un plein temps dans l’agence où elle officiait quelques heures par semaines, pour payer son loyer et ses études. Elle avait d’abord cru qu’avec l’argent qu’elle gagnait maintenant, elle serait vraiment indépendante. Ce fut effectivement le cas financièrement. Elle pouvait s’offrir quelques fantaisies qui lui était interdites auparavant. Elle changeait souvent de toilette et fréquentait le cinéma de son quartier presque goulûment. Pourtant rapidement, les relations avec les amis qu’elle s’était faits à l’université se raréfièrent. D’abord avec les jeunes bourgeois dont les parents payaient les études, mais aussi avec les autres, plus modestes, qui ne comprenaient pas le choix qu’elle avait fait. Petit à petit, en raison d’un sentiment de supériorité qu’ils éprouvaient face à elle, ces jeunes gens s’éloignèrent d’elle. Aussi était-elle, le plus souvent, seule pendant ses sorties.

A son travail, un jeune homme, ne tarda pas à s’intéresser à elle. Il lui proposa de l’accompagner au cinéma. Mais quand il lui annonça le film qu’il souhaitait voir, elle comprit qu’il fallait refuser. Elle qui choisissait toujours des histoires sentimentales, elle ne pouvait accepter de passer deux heures à regarder des batailles de karaté !
Furieux, le garçon lui fit la tête et finit même par la perturber dans son travail. Alors qu’elle ne l’avait guère observé avant cette période, elle commença à l’étudier. Il était lourdaud, boutonneux, peu cultivé. Le matin quand il arrivait, il empestait tant il s’était aspergé d’eau de toilette de mauvaise qualité.

Ses parents, qui avaient rechigné à lui payer ces fameuses études, ne comprenaient pas qu’elle ait abandonné. Pourtant, ils n’y avaient participé que de façon symbolique, alors qu’ils accordaient à sa sœur tout ce qu’elle demandait, surtout depuis qu’elle s’était entichée d’un étudiant en dernière année de droit. Alors, Mélanie prit de moins en moins le train pour Bordeaux, car elle éprouvait de moins en moins de plaisir à retrouver sa famille.

Elle était souvent seule, mais s’en accoutumait de bonne grâce, prise par son travail et ses diverses sorties. A la fin du trimestre, elle fut invitée par ses anciens amis étudiants, mais après une demi-heure, comprenant qu’elle n’avait plus rien de commun avec eux, elle les quitta prétextant une terrible migraine. Sur le pas de la porte, derrière le rideau qui la séparait de la salle, elle avait entendu les commentaires désagréables qu’ils émettaient à son égard. Elle attendit d’être suffisamment éloignée pour s’arrêter et là, appuyée sur un mur décrépi, elle éclata en sanglots. Elle venait de réaliser qu’elle avait abandonné tous ses projets d’adolescente et qu’elle n’avait plus aucun but. Ce soir-là, elle rentra chez elle désespérée. 
Dans le hall de son immeuble, elle récupéra son courrier et gravit péniblement les cinq étages jusqu’à son appartement. Elle se laissa tomber dans son fauteuil et, les yeux dans le vide, elle se mit à rêver d’une vie meilleure. Elle était en Espagne, en Andalousie, elle visiterait Grenade, Cordoue, et Séville… Elle ressentit soudain le froid et frissonna, elle se leva pour chercher un châle à mettre sur ses épaules. Avant de se rassoir, elle saisit le courrier qu’elle avait jeté sur la table : il y avait le loyer à payer, un programme de télévision et une enveloppe couleur parme. Intriguée, elle l’ouvrit. C’était une autre agence de voyage qui lui proposait un travail beaucoup plus varié et interessant que celui qu’elle occupait. Elle ne savait quoi en penser, pourquoi on lui faisait cette offre, pourquoi à elle, n’était-ce pas une arnaque. ? Elle lut et relut la lettre et enfin, elle regarda la signature, « Frédéric Du Tilleul ». Ce nom ne lui rappelait rien, pourtant après une dernière lecture, elle se rappela que sa patronne avait évoqué ce nom, après le passage d’un jeune homme qu’elle avait accompagné jusqu’à son bureau, quelques semaines plus tôt. Avachie dans son fauteuil, Mélanie se sentit rougir, elle se rappela qu’il était plutôt beau gosse et qu’il sentait bon le vétiver.

Le lendemain, elle envoya une réponse et quelques jours plus tard, elle reçut une convocation, suffisamment tard pour qu’elle n’ait pas besoin d’inventer des excuses pour partir avant l’heure. L’homme l’attendait dans son agence. Il était vêtu d’un polo et d’un jean et il sentait toujours aussi bon. Il lui proposa de se rendre dans le café d’en face pour échanger de façon décontractée. Elle le trouva séduisant. Pourtant, une phrase qu’il prononça la choqua, parce qu’elle lui rappela un évènement douloureux de son enfance. 

Elle devait avoir une douzaine d’années et elle était restée seule avec un cousin plus âgé, pendant que le reste de la famille était parti en promenade. Ils faisaient une partie de rami quand le garçon s’était brusquement rapproché, avait passé ses mains sous sa jupe et en même temps cherché à l’embrasser sur la bouche. Elle s’était débattue mais il était plus fort. Elle avait essayé de crier mais il l’en avait empêchée en posant sa main sur sa bouche. Elle se sentait perdue. Elle se souvenait parfaitement de cette odeur qu’il avait sur les doigts, un parfum capiteux. Même dégoûtée, elle l’avait mordu aussi fort qu’elle le pouvait. Il allait la frapper quand la porte s’ouvrit, c’était son père qui avait oublié quelque chose. Il vit tout de suite la main ensanglantée du garçon, qui déclara s’être blessé avec un couteau. Il partit d’ailleurs précipitamment, prétextant qu’il devait se faire faire un pansement à la pharmacie. 
Mélanie essaya d’en parler à sa mère, mais comme à son habitude, celle-ci lui dit : « Tu ne vas pas encore inventer des fariboles ! » Alors elle s’était tue, mais quand elle revoyait le cousin, elle s’arrangeait pour ne jamais se retrouver seule avec lui.
 
Était-ce la phrase, était-ce le son de la voix, elle ne savait plus. Mais elle s’écarta involontairement de l’homme. Il la regardait en souriant. Les yeux de Mélanie se remplirent de larmes. Même si Frédéric Dutilleul ne comprenait pas, il sortit un mouchoir délicatement parfumé et lui essuya les yeux. En la dévisageant gentiment, il ajouta : « Quand je vous ai vue à l’agence d’Aligre, j’ai eu envie de vous revoir. J’aimerais beaucoup que vous acceptiez de nous rejoindre. » Il expliqua, ensuite, ce qu’elle aurait à faire. Puis, percevant son inquiétude, il ajouta : « Soyez sans crainte, avec mon compagnon et moi vous serez en sécurité. »

Mélanie le dévisagea puis, en comprenant ce qu’il venait de dire, elle éclata de rire, et après un court instant elle se leva et lui déposa un baiser sur la joue. Elle venait de retrouver la joie de vivre et un nouveau projet à réaliser. Pour sa première mission, elle se rendrait pour de bon en Andalousie, faire le tour des hôtels de leur catalogue.  

Texte et illustration par Bernard Delzons             


 

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