Sans rêve, par Florence

Ce texte a été inspiré du texte de Delphine de Vigan "Les enfants sont rois".

Que ce soit à l’âge de 6, 12 ou même aujourd’hui 42 ans, je n’ai jamais su quelle profession je voulais exercer dans ma vie. Pour quelle destinée professionnelle étais-je faite ? Je ne l’ai jamais su et sais aujourd’hui que je ne le saurai probablement jamais. Je me souviens qu’en Terminale, vers le milieu d’année, il fallait remplir un papier bleu sur lequel nous devions inscrire ses vœux post-bac. Je me trouvai alors bien embêtée, ne sachant quoi écrire. Alors, comme d’autres filles de mon espèce, douée en littérature et avec des notes moyennes un peu partout, j’ai marqué : « fac de psycho ». Je ne voulais pourtant pas du tout être psychologue, loin de là. Mais il fallait bien marquer quelque chose.
 
Un jour (j’étais toujours au lycée), un quidam me posa la question de ce que je voulais faire plus tard. Ce à quoi je répondis la vérité : « Je ne sais pas ». Il m'a alors gratifiée d’un « Quoi ?! tu as 17 ans et tu n’as pas de rêves ?!! » Cette phrase, prononcée avec fracas, m’a marquée au fer rouge. J’étais la fille de 17 ans qui n’avait pas de rêves. Et visiblement, ça n’était pas normal. « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans » a clamé Rimbaud. Mais non seulement j’étais plutôt sérieuse, mais en plus je n’avais pas de rêves. J’étais anormale, une jeune fille anormale. Qui ne profitait pas de son jeune âge. Qui ne s’éclipsait pas en cachette la nuit pour fumer de cigarettes ou sortir avec des garçons. Qui ne faisait pas le mur. Qui ne chapardait pas de maquillage au monoprix. Qui n’arborait pas une dégaine de gothique ou de baba cool. 
J’étais la jeune fille sans rêves, et c’était apparemment faire une insulte à mon jeune âge que de ne pas avoir de rêves. 

Ma mère était ennuyée elle aussi. Nous écumions, les mercredis après-midi, les conseillères d’orientation. Alors je passai des tests. Je me retrouvais dans le profil « social ». Ces sacro-saints tests avaient révélé que je devais faire un métier tourné vers les autres. On me sortit alors des fiches métiers que je parcourus, mais aucun ne me plaisait. Mon cas était désespéré. Qu’allais-je devenir ? 
Et j’avais honte de moi-même, honte d’être la jeune fille sans rêves, honte de faire honte à mon jeune âge.

Alors, qu’est devenue la jeune fille sans rêves ?

Eh bien, un rêve lui est subitement apparu : parler le russe. Au final, ce rêve remonte à loin. Mais je l’avais oublié et je ne sais pourquoi. Il était là, tapi au fond de moi et ne remonta à la surface que l’année de mes 18 ans. 
Ce rêve, voici son histoire : j’avais aux alentours de 6 ans et je regardais la télévision. C’était un reportage sur les enfants russes pauvres et enrôlés dans l’armée dès leur plus jeune âge. Le reportage était en version originale sous-titrée et je crois que j’étais alors trop jeune pour lire les sous-titres. Mais je fus émerveillée par la langue. Et émerveillée, aussi, par ces doux visages slaves aux yeux clairs en amande. Je me dis, ce jour-là : « Un jour, je parlerai le russe ». Promesse que je réalisai. En effet, je m’inscrivis, une fois le bac obtenu, à l’université des langues et des lettres Paul Valery de Montpellier pour le diplôme « Langues étrangères appliquées anglais et russe ». J’obtins mon DEUG et partis faire ma licence en Russie à l’université de Tver, située à deux heures de route au nord de Moscou. Puis, je fis à Paris une Licence Professionnelle d’export pour les pays de l’Est. Je fis mon stage chez Fauchon, une épicerie de luxe française, au service imports, dans les locaux moscovites. 
Être commerciale ne m’a pas plu et je ne voulais pas non plus devenir professeur de langue. J’ai donc essayé des petits boulots. D’abord comme livreuse dans l’entreprise de mes parents, puis comme vendeuse en boulangerie où je rencontrai Patricia, une autre vendeuse qui allait devenir ma meilleure amie. Puis je fis deux saisons d’hiver dans la station de ski de Meribel (près de Courchevel) à l’office de tourisme. Ils avaient besoin de mes connaissances en langue pour la clientèle russe qui venait surtout entre Noël et le jour de l’An. 
Mais, la deuxième année, je me cassai le genou et fus rapatriée à Montpellier. Une fois ma santé retrouvée, je dénichai un poste de standardiste dans une petite clinique. J’y travaillai pendant 5 ans. 
Puis ma maladie mentale se déclara et je fis beaucoup d’hospitalisations pour trouver le bon traitement. Aujourd’hui, je vis de l’allocation pour adulte handicapé car je suis reconnue par la Maison des Handicapés comme ayant un trouble schizo-affectif. Travailler ne me manque pas. Mais ça n’est pas facile, socialement, de dire que l’on ne travaille pas. J’occupe mes journées en faisant du sport (de la course à pied), des activités manuelles (le tricot et la broderie sur diamants), en allant régulièrement au cinéma ; je lis beaucoup de romans aussi (je me rends souvent à la médiathèque).
J’ai mes amies russes chez qui je séjourne au moins une fois par an. 


Voilà ma vie de jeune fille, prétendument sans rêve qui l’a finalement, une fois devenue adulte, réalisé.
 

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