Amalya et Jane, par Didier Chabbert

Ce texte fait suite à Amalya et l'oubli, il a été inspiré par un logorallye.

Amalya venait de raccrocher. Elle avait tout raconté à sa sœur Jane. Elles ne s’étaient pas revues depuis un an environ, c’était pour l’anniversaire de Jane, pour ses trente ans. L’aînée l’avait toujours soutenue. Jamais elle n’aurait imaginé que sa protégée soit frappée si violement par le destin.

C’était décidé, annonça-t-elle, elle viendrait elle-même chercher sa petite sœur pour l’accueillir chez elle, le temps qu’elle voudrait, le temps qu’il faudrait. Une lueur, un soupçon de vie s’offraient ainsi à Amalya.                   Durant vingt et un jours, elle s’épancha, racontant par le menu les étapes de la descente aux enfers. L’accident, petit Arlo qui court après le ballon, Lenny qui se précipite, le camion, le désastre, la mort, le monde qui s’écroule. L’oraison funèbre, la solitude à ce moment, les sanglots et puis la fuite, la cavalcade. L’indicible souffrance qui mène à vouloir se jeter du Golden Gate Bridge. Puis le taxi bienveillant qui la sauvera et la conduira à l’Hôtel des Oiseaux.

Jane écoute, Jane apaise et Jane encaisse. La douleur, qui à mesure s’enfonce en elle, forme une boule dans son ventre, dans sa gorge. Jane se veut forte, elle veut sauver sa sœur, la sortir de l’incendie qui menace son être tout entier. Amalya parle et parle encore, comme pour vider ce trop-plein d’eau sale, vomir cet horrible malheur. Jane l’entoure, fait tout son possible pour ramener sa sœur à la vie, au présent. Jamais elle ne laisse Amalya seule à la maison.

Peu à peu, elle voit sa cadette avancer, s’agripper davantage aux petites choses de la vie, aux instants partagés, au plaisir du thé fumant que l’aînée verse dans la tasse. Jane s’attendrit.

Un mois et demi maintenant, le souvenir est toujours là, moins violent, moins obsédant, plutôt comme un murmure, un petit fond sonore lancinant. Lorsqu’une larme perle au coin des yeux d’Amalya, Jane fait semblant de ne rien voir, et lui propose une promenade ou un cinéma.

Amalya est restée trois mois chez Jane, le temps nécessaire à une lente reconstruction. Au jour le jour, dans un cahier, elle a noté en quelques mots le récit de sa vie, de territoire en territoire. Une façon de laisser derrière soi ce qu’il est préférable de poser, comme un sac trop lourd, pour mieux avancer.

Aujourd’hui, elle demande à sa sœur de l’accompagner à l'aéroport. Non, elle ne retournera pas à l’hôtel des oiseaux, mais comme eux elle va commencer sa migration…

Photo de Lina Trochez sur Unsplash

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