Le secret d'Arthur, par Bernard Delzons

Que faire d’un secret ? C’était la piste d’écriture du jour dans le cadre d’un stage sur l’utilisation des outils du scénario, pour raconter une histoire.  Il va de soit que je ne me suis pas inspiré de l’actualité pour écrire ce texte !

 

Arthur était entré au petit séminaire de Saint-Flour dans le Cantal, après la troisième. Il n’avait pas de conviction religieuse certaine, mais c’était un moyen, pour ses parents, de ne pas payer des frais de scolarité qu’ils ne pouvaient pas assumer. Il avait volontiers accepté, car il savait qu’il y retrouverait le père Étienne pour lequel il avait une profonde admiration. C’était d’ailleurs inespéré, sa mutation avait été soudaine et sans explication. Cet homme, professeur de français, lui avait donné le goût de la littérature. Il lui avait même donné le rôle principal dans une pièce qu’ils avaient joué pour le spectacle de fin d’année.

Il était arrivé à Saint-Flour quelques semaines plutôt. Ce qui lui avait permis de connaître ses nouveaux camarades. La plupart étaient beaucoup trop religieux à son goût, et il aurait déjà regretté son choix, s’il n’avait pas trouvé deux ou trois complices prêts, comme lui, à ne pas respecter, à la lettre, le règlement de l’établissement. Les pères étaient stricts, et ne plaisantaient pas avec la discipline. Le père Étienne se révélait lui-même très différent de ce qu’il avait été à Saint-Géraud, l’école d’Aurillac, où Arthur l’avait connu. Autant il avait été chaleureux l’année passée, autant ici dans ce nouvel établissement, il se montrait distant avec lui. Il avait même refusé d’être son confesseur.

Un soir, Arthur fut convoqué par le directeur, sans en connaître la raison. Le supérieur lui demanda d’attendre dans l’antichambre qu’il ait fini avec son rendez-vous précédent. Arthur comprit vite qu’il y avait une discussion vive, on entendait des cris, de la colère, puis de longs silences, avant que ça ne reprenne de plus belle. Persuadé que cela concernait un de ses camarades, et qu’il serait sévèrement sermonné à son tour, il s’approcha de la porte pour écouter ce qui se disait et ainsi préparer sa défense, bien qu’il ne vît pas ce qu’on pouvait leur reprocher qui fut si grave.

Il ne reconnut pas d’emblée la voix du père Étienne, mais après plusieurs échanges violents, il l'identifia. Il fut immédiatement sous le choc. Il venait de comprendre que le directeur accusait le professeur d'abus sur la personne d’une jeune femme qui faisait le service au réfectoire. Comment était-ce possible ? Un homme si bien, si généreux et respecté de tous ! Arthur était révolté. Il comprit que l’échange allait prendre fin quand le supérieur annonça qu’il ne dirait rien pour cette fois, mais que le professeur ne pourrait pas rester dans l’établissement. Il devrait être parti dans le mois.

Arthur avait juste eu le temps de regagner sa chaise quand la porte s’ouvrit et qu’il vit le prêtre sortir et le dépasser, sans même un regard pour lui. Il attendit encore une bonne dizaine de minutes avant que le directeur ne le fasse entrer. Il ne voyait pas en quoi il était concerné par cette affaire ni pourquoi il était convoqué. Le religieux le fit assoir et lui annonça qu’après avoir étudié son dossier, il souhaitait lui confier l’animation d’un atelier de réflexion sur la religion et la littérature. Arthur, rouge de confusion, ne sachant que répondre, finit par laisser échapper : “Ce serait mieux si c’était le père Étienne”. Aussitôt, il regretta ce qu’il venait de dire en se rappelant ce qu’il avait surpris. Mais le directeur se leva, lui tendit la main en signe d’au revoir. Il fallait qu’il se lève et s’en aille.

Dans l’escalier qui le menait à la salle d’étude, il réfléchissait à ce qu’il devait faire: le dire à ses camarades, faire sa propre enquête avant de parler, aller voir le père Étienne et lui demander de confirmer ou non ce qu’il avait appris? Mais il saurait alors que son élève avait écouté aux portes, or c’était passible de renvoi. Alors ce serait la fin des études. Il faudrait qu’il travaille comme son père dans la fabrique de galoches, ce serait aussi la fin de ses rêves, fini le théâtre !

 Arthur ne pouvait pas non plus se résoudre à croire ce qu’il avait entendu, le père Étienne ne pouvait pas avoir fait ça ! Pourtant, au fil des jours, le doute s’installa. Il se rappela qu’au moment de l’annonce de sa mutation au petit séminaire, on avait aussi brusquement mis fin aux cours que le professeur donnait dans une école de jeunes filles de la ville. Il y avait aussi les allusions que faisaient les élèves aux visites féminines que celui-ci recevait dans son appartement. Arthur les voyait maintenant sous un jour nouveau. D’autres souvenirs vinrent, à leur tour, entamer les certitudes du garçon. Le prêtre était bel homme, très séduisant, tout le monde l’aimait - sauf le chien du concierge qui grognait quand le prêtre s’approchait de la loge. Arthur avait tout de suite reconnu ce concierge en arrivant au séminaire. L'homme travaillait à l’atelier avec son père avant un accident qui l'avait obligé à changer de métier. Son chien était affectueux avec tous, mais Arthur avait vu qu’il montrait les crocs à l’approche du religieux. Interrogé, le concierge avait dit qu’il avait donné des coups de pied à l'animal.

Les jours qui suivirent, Arthur resta prostré. Il prétendit qu’il était malade pour échapper aux questions de ses camarades. Il chercha pourtant à voir le père Étienne, mais celui-ci était introuvable.

Il doutait de plus en plus. Au réfectoire, il essaya de deviner quelle était la serveuse qui aurait été victime du prêtre : "Mélanie trop vieille, pensa-t-il, Antoinette trop délurée, Marinette, un peu forte..."  Il ne restait que Félicie !  Il eut soudainement honte de ce qu’ils chantonnaient quand la malheureuse entrait dans la salle, avec son tablier gris, ses cheveux ramassés dans un foulard gris aussi : “...cie Aussi, ...cie aussi”. Pour la première fois, il la regarda vraiment, jusque là, c’était la bonne. Il se rendit compte qu’elle était jolie. Mais elle semblait tellement fragile.

Arthur eut soudain envie de vomir en imaginant la scène avec Étienne. Il ne pouvait plus dire “père”. Il ne pouvait pas se taire, il allait le dénoncer. Mais il pensa alors que ce serait le déshonneur pour la jeune femme. De plus, il ne pouvait pas accuser sans preuve, et sans preuve on ne le croirait pas. Tout le monde connaissant son admiration pour le père, tout le monde penserait qu’il se vengeait pour avoir été écarté du groupe de théâtre !  Il pensa demander au directeur de le confesser pour avouer ce qu’il avait entendu. Il serait protégé par le secret de la confession, mais vite il comprit que c’était lâche.

La jeune femme disparut brusquement du service. Il questionna ses collègues, qui n’en connaissaient pas la raison, “Elle est malade” fut la seule réponse qu’il obtint. Lui savait, ou croyait savoir, mais ne pouvait rien dire.

Quelques jours plus tard, Étienne leur fit un cours d’éducation religieuse et morale. Il aborda la sexualité, et le respect qu’il fallait accorder à sa partenaire. Arthur était révolté, mais sans pouvoir rien dire. Il fallait qu'il en ait le cœur net! Il décida d’attaquer en posant des questions pour pousser le salaud dans ses contradictions.

"Je pensais qu’il fallait être marié, non ?

-Certes, mais la nature humaine est faible.

-Avez-vous toujours respecté le vœu de chasteté ?

-Je n’ai pas à répondre à cette question.

-Donc, vous êtes faible vous aussi !

-Ça suffit maintenant, taisez-vous ou sortez.

-L’homosexualité est elle un péché ?

-Sortez.

-Qu’est-ce que le viol ?"

Le père s’était levé, il l’attrapa par sa blouse et le jeta dehors en hurlant. Les élèves découvraient un homme différent de celui qu’ils connaissaient. Ils n’avaient pas compris l’intervention de leur camarade, mais ils furent sûrs qu’Arthur avait une bonne raison. Aussi, quand le père referma la porte, un long murmure réprobateur résonna dans la classe et le prêtre ne put les faire arrêter. Il sortit alors en claquant la porte.

 

Plus personne ne le revit dans l’établissement. Arthur resta muet. Mais quelques jours plus tard, dans un article du journal local, on put lire que le père Étienne avait été arrêté pour viol sur une jeune femme. Quand on demanda à Arthur s’il savait, il haussa les épaules et répondit : “Pourquoi l'aurais-je su ?”  Il quitta, lui aussi, l’établissement. Il avait tout raconté à ses parents en leur disant qu’il ne pouvait pas cautionner l’attitude du petit séminaire. Dégoûté, il supprima de sa chambre tous les signes religieux qui s’y trouvaient, sauf un poster de l’abbé Pierre qui seul, à ses yeux, méritait le respect.

Par chance, Arthur n'eut pas à aller pointer à l'unientra au lycée pour lequel il avait enfin obtenu une bourse.

Des années plus tard, coïncidence ou non, au moment où l’affaire “Abbé-Pierre” avait vu le jour, Arthur avait publié un roman dans lequel son personnage principal, un adolescent, avait envoyé une lettre au journal de la ville pour dénoncer l’attitude d’un prêtre dont il avait découvert le comportement révoltant. Ce courrier avait été à l’origine d’une enquête judiciaire.  

Copyright du texte, Bernard Delzons.  Photo de Kristina Flour sur Unsplash

Pistes d'écriture et textes
Retour