On peut appeler un chat un chat, mais... par Bernard Delzons

Cette fois c’étaient des phrases qui devaient nous donner des points de départ à nos textes. Comme celle que j'ai mise en gras.

Un homme devant son ordinateur s’était mis à écrire ce qui lui passait par la tête. C’était sa façon d’oublier le monde extérieur qui le stressait…Il avait commencé en écrivant :On peut appeler un chat un chat, mais ce n’est pas si simple…

 

Maxime était assis dans un bar du vieux Barcelone, plus précisément dans le « Barri Gotic » autrefois malfamé et aujourd’hui, investi par les « bobos », oui, les jeunes bourgeois bohèmes de la ville. Il y avait un grand nombre de petites boutiques artisanales qui s’étaient ouvertes et qui lui plaisaient beaucoup. Affalé sur son siège, il revivait sans cesse la scène de rupture que lui avait fait vivre, Magalie sa compagne depuis plus de dix ans, cela avait été brusque et sans préavis. A chaque fois il finissait par penser qu’il s’était trompé de bonheur. Justement, à cet instant il était plongé dans ce souvenir. Alors, comme à chaque fois il se laissa emporter par sa rêverie.

 

Il venait de finir son troisième café, il était prêt à sortir une ultime cigarette de son paquet, quand la porte du bar s’était ouverte. Un homme, la cinquantaine, avec un imperméable à la “Colombo”, beige crasseux, un feutre délavé sur la tête, était entré. Celui-ci avait balayé de son regard toute la salle et lorsque ses yeux s’étaient posés sur Maxime, il avait dit à haute voix, pour que chacun l’entende : “Mais que fait donc cet homme dans ce café désert ?”. Il n’y avait pas foule, certes, mais Maxime était certain que ce message lui était adressé. Il en oublia ses idées sombres et nostalgiques et se mit à observer la salle et ses occupants, qu’il avait complètement ignorés jusqu’alors.

 

La première chose qu’il remarqua fut un gros chat tigré confortablement allongé sur le comptoir. Il paraissait dormir, mais Maxime s’aperçut qu’il ouvrait de temps à autre un œil pour observer, tout comme lui, ce qui se passait. Derrière le bar, il y avait la serveuse qui lavait les verres. Elle était encore jeune, pourtant elle paraissait, déjà, usée par la vie. Ses cheveux étaient gris, elle n’avait aucun maquillage. Il y avait, aussi, un jeune couple d’une vingtaine d’années qui s’envoyait des regards énamourés en même temps, sans doute, que des “SMS” “Caliente” comme on dit ici. Maxime avait remarqué qu’à chaque petit “BIP”, leur visage s’illuminait ou rosissait. Ils se tenaient à distance, mais ils ne pouvaient cacher leur attirance mutuelle. C’était comme des préliminaires avant un abandon total à l’autre, pensa un instant Maxime, en se demandant si c’était ça, le bonheur.

 

Il chercha alors l’homme à l’imperméable. Il était assis dans un coin de la salle, son chapeau était posé sur la table, laissant apparaître une belle chevelure blanche. Il avait devant lui une pinte de bière blonde qu’il n’avait pas encore entamée. Il était en train d’écrire sur un petit carnet dont la couverture rose surprit beaucoup Maxime, car ça ne cadrait pas avec l’image qu’il se faisait du personnage.

 

On était fin octobre et la luminosité s’estompait, visiblement l’homme n’y voyait plus assez pour écrire, aussi avait-il grogné, demandant si on pouvait avoir un peu de lumière. La serveuse ne bougea pas. L’homme allait renouveler sa demande quand Maxime vit le chat se lever. Avec sa patte droite, il avait atteint l’interrupteur, et la lumière fut.  Il s’était, alors, rallongé sans que personne d’autre que Maxime ne s’en aperçut. 

 

Puis, le jeune couple se leva et se dirigea vers le bar pour demander l’addition. Le chat se leva, visiblement à contrecœur, et se dirigea vers une machine posée sur le comptoir. Maxime aurait juré qu’il avait chaussé une paire, pas de bottes mais de lunettes. Avec ses pattes il tapa sur des touches et Maxime vit apparaître sur l’écran qui lui faisait face “15,49 euros”. Il pensa immédiatement qu’il y avait un truc, mais il fut encore plus surpris d’entendre, quand la jeune fille essaya de le caresser : “Occupe-toi de ton minet et laisse-moi tranquille “.

La jeune fille haussa les épaules, mais Maxime douta qu’elle eût entendu la même phrase que lui. Il ne savait pas quoi penser, pourtant il n’avait bu que du café, certes il avait un goût inhabituel mais quand même ! Il fallait absolument qu’il change de nuage pensa-t-il, c’était ça façon de dire qu’il devait sortir de sa rêverie.

 

La serveuse était descendue au sous-sol, Maxime était donc seul avec “Colombo”. Celui l’aborda alors directement et commença à lui poser des questions. Mais contre toute attente, c’était le chat qui répondait. 

 

-       Depuis quand êtes-vous ici ?

-       Vous êtes de la police ?

-       Quand êtes-vous arrivé à Barcelone ?

-       A la Mi-août !

-       Bordel, mais qu’est-ce que c’est que ça ?

-       Un interrogatoire, non ?

 

Maxime ne pouvait émettre aucun son, il était comme paralysé. Il essaya de se lever, en vain. Il commença à transpirer, que lui voulait-on ?

 

Colombo se leva et s’approcha de lui. Il ouvrit son carnet à la page 34, puis lui montra du doigt ce qu’il y avait écrit. Maxime lut “ Ton cœur commence à jeter l’amour par les fenêtres”. Il voulut pleurer, mais ne le put pas. Il vit le chat descendre du bar et se diriger vers lui ; il le renifla puis sauta sur ses genoux ! Il se laissa caresser.  Il chercha l’homme au chapeau du regard, il avait rapetissé, s’était rabougri. Maxime ferma les yeux un instant mais quand il les réouvrit, c’était maintenant une vielle dame au parfum de violette, qui lui tendit un carnet rose sur lequel il pouvait lire “Vous savez, depuis que j’ai maigri, je ne fais plus mon âge”. Maxime se demanda si elle pensait avoir rajeuni ou le contraire.

 

Un pigeon venait de passer, le chat se souleva et pour garder l’équilibre, il sortit ses griffes qu’il enfonça un peu à travers le tissu de la salopette que portait Maxime. 

Celui-ci sursauta, il se trouvait maintenant dans le jardin devant l’université de philosophie. Il y donnait des cours sur les œuvres de Roland Barthes et Raymond Aron. Il avait eu beaucoup de succès, en arrivant à son premier « amphi » avec son chat sur les épaules. Il avait calmé les étudiants en leur disant que le plus philosophe des deux ce n’était pas lui, mais son chat ! C’était d’ailleurs celui-ci qui l’avait choisi, avait-il ajouté.

 

On lui avait procuré un appartement dans un autre quartier branché de Barcelone, mais pour une tout autre raison, pas très loin de l’université. Il avait été surpris d’y voir un couffin pour animal. Deux jours après son installation il y avait trouvé ce chat confortablement endormi. Celui-ci l’avait immédiatement adopté, surtout depuis qu’il avait déniché le placard à croquettes. Quand on lui demandait comment s’appelait son magnifique tigré, il répondait toujours : « no lo se » si bien que pour tous, ce chat était « Nolossé »

Il connaissait bien la vieille dame, elle assistait à tous ses cours. Un jour il lui avait demandé pourquoi elle venait. Il avait sursauté quand elle lui avait répondu que c’était pour voir son chat. D’abord vexé, Maxime avait fini par penser que c’était une très bonne leçon de philosophie !

 

 Il faisait presque nuit. Il plaça le chat sur son épaule et proposa à la vielle dame qui cherchait son chemin de l’aider à traverser, elle avait un beau chapeau rouge et un imperméable bleu ciel. Après l’avoir saluée, Il continua son périple vers son appartement, en sifflotant, Il avait passé une belle journée pensa-t-il. Aujourd’hui il ne prendrait pas le train, d’ailleurs à cette heure-là, il n’y avait plus de passagers.

 

Le chat, toujours juché sur son épaule, lui passa une patte amicale sur la nuque. « Barcelone est vraiment une belle ville », lui murmura Maxime en guise de remerciement. Il reçut alors une tape moins amicale pour lui faire comprendre que ce n’était pas une réflexion sur la ville que le matou attendait, mais une caresse et ses croquettes. Maxime crut l’entendre murmurer : “C’est simple, je dois lui faire comprendre que c’est moi le chef !”

 

Maxime aimait bien se promener dans ses rêveries qu’il appelait ses petits nuages, et il se faisait un plaisir d’imaginer des passerelles entre l’un ou l’autre.

 

Il était sur le point d’arriver chez lui, quand sur le trottoir d’en face il reconnut « Columbo » et la serveuse bras dessus bras dessous. Elle avait sur les épaules le chat tigré et le portait comme sa grand-mère le faisait avec “son renard” pour aller à la messe, les jours d’hiver. Il toucha son cou, mais il n’y trouva que son foulard. Désarçonné, il s’assit sur un banc. Il surprit alors la conversation de deux jeunes assis de l’autre côté. Il était question d’adopter le chat d’un professeur qui devait retourner en France. Il se retourna, c’étaient les amoureux du bar.

 

Il reprit son chemin, à grands pas dans sa salopette en jean délavé. Avant d’ouvrir la porte, il reconnut la voix de Mélanie. Ils s’étaient disputés parce qu’il avait ramené un petit chat. Elle avait menacé de le quitter. Visiblement, elle avait changé d’avis. Quand il ouvrit la porte, elle lui demanda quel nom, ils allaient lui donner. Pendant qu’il se lavait les mains il répondit : « Nolossé ».

Le chat émit un miaulement de désapprobation que Maxime interpréta comme “Pourquoi pas Molosse tant que vous y êtes?”

 

L’homme devant son ordinateur venait de taper le dernier mot, quand son chat vint réclamer son repas.

 

 

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