Nez rouge et dés à licorne, par Didier Chabbert

Nez rouge et dés à licorne

Pistes d'écriture: Sorj Chalendon, résumé narratif et trajectoire d'un personnage

Très tôt, Gilles a fouillé dans les placards pour se déguiser, empruntant des vêtements de son grand frère ou parfois même, de sa sœur. Il avait assez vite compris que la surprise qu’il produisait par son accoutrement faisait rire sa famille.

A l’école, Gilles était un élève dissipé. Il réservait ses grimaces et ses mimiques aux copains, dans la cour de récréation. Son imitation de Madame Dufour, professeur de mathématique, avait beaucoup de succès. Sa malice lui attirait beaucoup de sympathie, mais ne compensait pas les mauvaises notes à répétition.

Ses parents s’inquiétaient, Gilles, contrairement à son frère et à sa sœur, n’était pas un bon élève. En revanche, c’était un enfant heureux, plein de vie.

Vers quinze ans, Gilles a ressenti le clown pousser en lui. Non pas la révélation, mais un murissement progressif, quelque chose qui s’imposait.

Ses parents vivaient mal cette situation, le père surtout. Il ne pouvait imaginer l’avenir de son petit dernier dans le monde du cirque.

 

Gilles obtiendra le Brevet des Collèges, cependant le Bac ne lui sera pas donné, sans que cela ne l’affecte le moins du monde… « Je n’ai pas besoin d’un bac à fleurs »,  dit-il en rigolant.

Cet été là, Gilles démarcha les écoles de cirque. Bien sûr, ce n’était ni Gruss ni Pinder… mais il avait trouvé une équipe, une troupe qui pouvait lui proposer une formation, plutôt un apprentissage de clown. Pas simplement le maquillage, les grands pieds et le nez rouge, mais la présentation, le mouvement, la façon de parler et de captiver les enfants, de les faire participer. Par son caractère enjoué, sa créativité, son aptitude à créer un personnage rigolo, il devint aisément le clown qu’il rêvait d’être.

Il devint aussi un peu le dépanneur de la troupe, celui qui avait toujours l’accessoire manquant ou l’idée qui allait faire la différence, qui allait transformer la banalité en grâce ou en fou-rire. Il chinait sur les routes ; il avait emporté avec lui son coffre aux trésors ; et puis on lui amenait tout ce dont on ne servait plus, et qu’avec Agnès, la costumière-décoratrice et pas mal cantinière de l’équipe, il découpait, stockait, modifiait. Il apprit à utiliser l’antique machine à coudre Singer. Rien de compliqué pour celui qui avait toujours bricolé, vous créait des chapeaux-claques à claques, des nœuds pap’ à papillons et des lapins à ressorts…

Cependant, un long chemin semé d’embûches l’attendait. Gilles resta trois ans au sein de cette troupe. Les représentations étaient peu nombreuses, de petites villes en petites villes, il ne gagnait pas sa vie. Ce ne pouvait être qu’un à-côté.

Son père le lui avait dit, il en faisait maintenant l’amère constatation.

 

Le clown est triste…non, le clown est déçu, mais pas triste. Il a vécu une belle expérience et accumulé dans son cœur un bien joli trésor : les rires des enfants.

***

Maintenant, comment Gilles relancera-t-il les dés ?

Noël approche et Gilles souhaite profiter de cette trêve hivernale pour faire son bilan. L’expérience des trois années écoulées lui a apporté beaucoup de joie, mais peu de revenus. Marie, sa petite sœur vient près de lui : « Tu sais, j’aimais bien quand tu faisais le clown. Mais tu vas faire quoi maintenant ? » « Marie, j’aime bouger et travailler de mes mains, je ne peux pas rester sans rien faire. J’aimerais faire partie d’une équipe, avoir un métier artistique, alors dis-moi si tu as une idée… » Les idées fusent, les plaisanteries aussi. « Jouer, Gilles. Jouer et faire jouer… » Dit-elle en relançant pour la ixième fois sa paire de dés culbutos, qui tombent toujours sur la licorne, le totem de Marie. Et cela la fait rire, et applaudir. Pour finir, Gilles les lui offre, ses dés-licorne. Il s’en bricolera d’autres. « Jouer et faire jouer… » Le conseil de Marie lui trotte dans la tête.

 

Bien qu’il soit tenté, Gilles renoncera cependant à faire une formation de comédien : écoles trop rares, trop onéreuses, trop sélectives.

 

À l’occasion de la galette des Rois, Gilles a retrouvé les amis de la troupe qu’il avait quittée. L’idée est venue de Jean, il lui a parlé d’un café-théâtre où il s’était produit quelques années auparavant. « Va te présenter de ma part, je connais le directeur ».

Deux semaines plus tard, Gilles se rend au café-théâtre, il parle de son expérience de clown, sa présentation est séduisante et on lui propose de faire un essai.

Pendant trois semaines, il travaille une scène, un personnage, une histoire, cherche des bons mots, des phrases qui feront mouche. Il a un talent naturel. Peu à peu, il acquiert de la technique et finit par obtenir un contrat. Première petite victoire, ce n’est pas mirobolant, il gagne un peu d’argent, mais surtout, Gilles fait découvrir son talent. Il aime le spectacle, cela se sent, cela se voit. Et bientôt, comme au cirque autrefois, on se tourne vers lui pour améliorer un costume, perfectionner une séquence de gestes, mieux camper un personnage. Il a souvent l’idée « fluo », celle qui déconcerte ou fait rire.

Et puis, Gilles utilise les réseaux sociaux, il fait sa publicité et celle du café-théâtre.

 

Un hasard, un coup de chance, il se fait repérer par un producteur et par son entremise, Gilles va infiltrer le milieu théâtral. Dans ce théâtre d’audience régionale, il présente tous ses talents, clown, mime, comédien…

Hélas ici, on n’a pas besoin d’un acteur comique, mais d’un costumier. Pas de problèmes ! Gilles a suffisamment chiné, transformé, retouché... il connait maintenant les adresses, et certains trucs. Il en apprendra d’autres. Costumier, c’est aussi pour lui retrouver les plaisirs de son enfance lorsqu’il se déguisait.

Une aubaine donc pour Gilles qui accepte bien volontiers cette proposition : un vrai métier artistique. Pour lui, c’est un enchantement. Il a un objectif précis : faire que les acteurs se sentent bien dans leurs costumes. L’habit fait le moine et donc il habille les artistes en fonction de la psychologie des personnages qu’ils incarnent.

 

Comme Gilles est boulimique de travail, il cumule son activité du café-théâtre avec son rôle de costumier. De fait, les repos du week-end sont rares. Le peu de temps qu’il lui reste, il le consacre au bénévolat comme clown à l’hôpital et dans les maisons de retraite. Parfois même, il met son nez rouge pour faire plaisir à Camille.

Finalement, il a trouvé son équilibre dans ces activités artistiques et variées. Il ne connait pas l’ennui, et, comme un premier amour, il jouit encore des rires des enfants.

Crédits: copyright texte, Didier Chabbert. Photo de Krisffer Aeviel Cabral sur Unsplash

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