Une trajectoire (suite du résumé narratif), piste d'écriture

Une trajectoire, suite

Il s’agit de la trajectoire de Joseph, racontée par son frère (Sorj Chalendon, Le jour d’avant, éd. Grasset, 2017)

Joseph s’était rêvé pilote automobile, ou au moins mécanicien dans une équipe de Formule 1. Il est devenu simple mécanicien auto, et ce qui aurait convenu à un autre l’ennuie. Il n’a plus d’ambition. Un autre aurait pu rêver de posséder son propre garage, par exemple. Pas lui. La route de la mécanique automobile lui est barrée, parce qu’elle signifie le renoncement à son ambition de départ. Pourtant, il est encore retenu par son amour, profond et réel, de la mécanique. C’est sur cet élément que l’action rebondit.

 

Face au choix : en entre dans le récit, avec des scènes et les temps grammaticaux de l’action :

Voici que la narration change de rythme et de ton. On n’est plus dans « l’avant », on entre dans le récit. Il s’agit d’une scène, située (un dimanche précis), qui relate un dialogue particulier. Du plus que parfait, on passe à l’imparfait. On voit surtout apparaitre le passé composé (on aurait pu avoir du passé simple, mais cela n’aurait pas correspondu à la manière de parler des personnages). Imparfait, passé simple ou passé composé : les temps du récit. Nous sommes dans l’action. On peut aussi opter pour une narration au présent et passé composé.

 

Un dimanche, deux gars de la fosse ont demandé à mon frère s’il savait aussi imiter le vacarme de la cage d’extraction au moment de la remonte, le grincement des crémaillères, la morsure brutale du pic de veine, le cognement du marteau pneumatique, le cri du contremaître qui exige un dernier mètre avant la fin de poste.

– C’est comme ça la vie, leur a répondu mon frère. (…)

Il a dit qu’il ne savait rien de la mine, à part un parent qui y avait laissé sa jeunesse dix-sept ans plus tôt. Mort le 16 mars 1957 à la fosse 3 de Lens. Leur fosse à eux. Celle du coin de la rue. Liévin, Lens, notre fosse commune.

– Un marin peut aussi bien mourir en mer, a souri le plus âgé.

Il a expliqué à Jojo que la Compagnie des mines de Lens avait besoin de bras. Il pourrait apprendre le métier au Centre de formation, après ses heures de travail. Il serait à l’école de la taille. On lui enseignerait tout. Percer, abattre, charger. Il voulait être ouvrier qualifié ? Monter en grade ? Se sentir utile au pays ?

Joseph est intéressé, cela se sent. Il y a cette phrase, « être utile au pays ». Mais aussi les termes précis, « la taille », « Percer, abattre, charger ». On lui propose de quitter le monde de l’enfance et du jeu, pour entrer dans celui des adultes aptes à « monter en grade ». (L’imitation n’est, aux yeux de ces mineurs, que cela, une gloriole un peu vaine.)

Et puis, son orgueil est sollicité : on lui démontre que sa connaissance n’est que superficielle. Il imite le bruit de la mine comme un spectateur, par comme un acteur. Pourtant, cela ne suffit pas à emporter la décision. D’ailleurs, Joseph est conscient qu’imiter la mine ne signifie pas se laisser avaler par elle.

Au vieux mineur, il a expliqué qu’il n’avait pas le courage de tout recommencer. Il lui a dit qu’imiter la respiration d’un chevalement n’était pas descendre à la fosse. Et aussi qu’il ne savait même pas ce qu’on y faisait, à la mine.

– Il est déjà tard, a-t-il ajouté.

Et puis j’étais là, à attendre. Son petit frère, qui s’ennuyait avec son fond de menthe à l’eau. Son « tiot » Michel. (…)

Nous marchions vers la porte.

Le jeune mineur s’est placé en travers.

– C’est comment ton nom, déjà ?

– Joseph.

Verre à la main, l’autre a penché la tête sur le côté.

– Tu n’as pas de train d’engrenages dans l’automobile ?

Mon frère a souri. C’était sa spécialité.

– Et les pignons ? Les crémaillères ? La denture droite, tu connais aussi, alors ?

– Quel rapport avec votre métier ?

Le jeune ouvrier conduisait une haveuse, qui saignait la veine avec force. Le plus vieux surveillait le godet des chargeuses.

– Un mineur aujourd’hui, c’est un mécanicien, a répondu l’aîné.

– C’est Germinal robotisé, a rigolé son copain en nous ouvrant la porte.

Jojo a serré les mains tendues, longuement. Comme on conclut un pacte.

Lorsque nous sommes sortis, Mainate a fait un geste victorieux, sa bière à bout de bras.

– Et une nouvelle recrue pour les Charbonnages de France. Une !

Quelques jours plus tard, Joseph se décidait pour la mine.

 

Pour combler le besoin, le désir s’adapte 

Finalement, ce qui décide Joseph, c’est bien son vieux rêve, qui a changé de visage. « Un mineur aujourd’hui, c’est un mécanicien. » « C’est Germinal robotisé ». C’est aussi le sentiment d’être en pays connu. Descendre dans la fosse signifie s’élever dans la société. Il sera respecté, désiré, avec des perspectives. Pour nous qui connaissons l’évolution du monde minier, il y a là une ironie grinçante. Mais, du point de vue de Joseph, c’est un pas vers l’autonomie réellement adulte.

Après un résumé narratif, le personnage est souvent mis face à un choix. Ce choix dépendra de qui il est, de son désir, de ses besoins profonds aussi. Si Joseph avait eu une âme d’artiste, peut-être aurait-il opté pour une simple descente de découverte dans la fosse, afin de pouvoir reproduire le chant de la mine plus complètement. Ou peut-être se serait-il engagé quelques jours et aurait quitté le pays, pour tenter sa chance ailleurs, sur les scènes.

Cela dépend aussi de ses capacités. Imaginez que Joseph se révèle claustrophobe…

 

Pistes d’écriture :

. Imaginez une suite différente pour Joseph.

. Poursuivez votre texte de la séance précédente.

. Décrivez rapidement une situation de transition, à l’imparfait (ou au présent).

Il passait chaque jour… Des mains honteuses de cambouis…

Puis un évènement survient. Ce peut aussi être une conversation, une rencontre… une prise de conscience. Le personnage est mis face à un choix.

Cela ne suffit pas forcément à entraîner l’adhésion de votre personnage. Vous pouvez raconter une résistance, une lutte entre différents éléments, une péripétie…

Et peut-être que cela ne débouchera pas sur un changement, que votre personnage aura simplement pris conscience de son insatisfaction. Ou peut-être que l’engagement ne sera pas celui attendu.

Mais il y aura eu effet de bascule, la situation ne parait plus si stable, les besoins profonds se font connaître, l’objectif immédiat a changé de forme ou de sens.

En tout cas, votre personnage a évolué.

. Vous pouvez aussi vous laisser simplement entraîner par l’une des phrases du texte.

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