Le résumé narratif d'une trajectoire, piste d'écriture

Une trajectoire, un résumé narratif, avec Le jour d’avant, de Sorj Chalendon

Sorj Chalendon, Le jour d’avant, éd. Grasset, 2017. Nous sommes en plein pays minier, à Liévain, en 1974.

Un rêve déçu ou inapproprié

Enfant, Joseph s’était rêvé coureur automobile. Il s’imaginait mécanicien de stand, intégré au ballet des changeurs de pneus. Puis pilote au cœur d’une grande équipe. Et champion, enfin, nous douchant au champagne depuis la plus haute marche.

Mais mon père n’y a jamais cru.

– Les écuries abritent le bétail, pas les voitures, disait-il.

Notre pays parlait de terre et de charbon, pas de circuit automobile. Comme les paysans d’ici il espérait que son fils reprenne la ferme et craignait que la mine l’enlève.

Alors mon frère a passé son certificat d’études primaires, son brevet. Il est entré au lycée professionnel, réparant le tracteur de notre ferme à la nuit en se chronométrant, comme s’il s’affairait dans un paddock de Formule 1. Mécanicien, il est devenu apprenti dans un garage de Lens. Un an de perdu, dira-t-il plus tard. Jamais il n’a foulé l’asphalte d’un circuit automobile. Jamais il ne s’est approché d’un podium. Notre père avait raison.

Et comme tous les gars d’ici, la mine a fini par le dévorer.

 

Grâce à ce résumé narratif, Sorj Chalendon nous fait vivre la trajectoire de Joseph jusqu’à ses vingt ans. Nous avons les points essentiels, son rêve et les obstacles qui se sont opposés à son désir. Cependant, Joseph n’accepte pas non plus le destin que son père espère le voir endosser. Il résiste, il suit sa pente jusqu’à un certain point.

On parle d’un résumé narratif parce qu’il aborde les choses sous un angle bien déterminé. Cela amène à révéler des structures profondes. Ici, il y a des éléments sociologiques, mais aussi mythiques (la mine devient un personnage quasi divin : elle l’enlève et finit par le dévorer). Qui parle ici ? Le petit frère, devenu adulte. Le point de vue et le narrateur sont importants.

Un résumé narratif débouche souvent sur un changement. Mais avant cela, Joseph va passer par une prise de conscience, celle d’un présent décevant :

La prise de conscience d’un présent décevant

Il passait chaque jour devant la fosse Saint-Amé. Sur le chemin de l’atelier, il voyait les hommes se presser aux portes de métal, entrer, sortir, marcher ensemble et sans un mot. Il pensait à un peuple à part. à une armée de simples gens. Lui démontait des filtres à air et réglait des carburateurs. Eux fouillaient la terre pour éclairer le pays, chauffer les familles produire le ciment, le béton, goudronner nos routes. Lui colmatait une fuite d’huile, eux travaillaient à notre confort. Il s’était imaginé sur une ligne de départ, il s’est retrouvé penché sur des moteurs. L’enfant glorieux était mort. Le héros avait renoncé. Il ne jouait même plus au mécano de Grand Prix en changeant les plaquettes de frein.

Sa condition parait de plus en plus médiocre à Joseph : « L’enfant glorieux était mort. Le héros avait renoncé. » La grandeur, à présent, appartient à ce « peuple à part », celui des mineurs. Celui-là même que son père craint de lui voir rejoindre, d’autant qu’un oncle, que les frères n’ont pas connu, est autrefois mort dans la fosse.

Mais on comprend que Joseph est avide de sens. Il l’est d’autant plus que la profession de mécanicien, pour laquelle il a refusé de suivre le désir de transmission de son père, l’a profondément déçu. Que peut-il faire ? Il s’invente un nouveau talent, qui l’aide à s’approprier ce à quoi il ne peut prétendre.

L’invention d’un autre talent, pour rendre le présent habitable

Au soir, les mains honteuses de cambouis, il garait son vélo devant le portail de la fosse 3bis et levait les yeux vers le ciel. Les molettes des chevalements tournaient lentement. Elles racontaient le minerai qui monte au jour et les hommes qui descendent au fond. Il avait appris à imiter le souffle des beffrois d’acier. Il s’était entraîné, le regard rivé aux poulies. Il jurait que ce vacarme était l’un des plus difficiles à reproduire. Et l’un des plus beaux.

– N’importe qui peut imiter le chant du coq. Mais le chant du travail, c’est une autre histoire, disait Jojo.

Il y a d’un côté Joseph, honteux du peu d’importance de son travail, de l’autre non pas un mineur mais la mine tout entière, une machinerie sacrée qui soutient l’ensemble de la société. Bien sûr, cette divinité a des pannes. Mais elle a aussi son chant mystique. C’est celui-là que Jojo apprend à imiter ; à la fois, peut-être, pour garder la fascination qu’il exerce sur lui sous contrôle ; et pour s’emparer d’une puissance. Ce passage rappelle aussi que Joseph est mécanicien, bidouilleur. Il bidouille, il est curieux, il attrape les « trucs ».

Jojo m’avait appris son truc. Patiemment, il m’avait montré comment étonner les chanteurs de coqs. D’abord, il fermait les yeux. Gonflait ses joues, à peine. Puis une plainte de métal montait, un râle mécanique, un grincement de gorge et de dents. Il s’était amusé à chanter le bruit du chevalement au comptoir de « Chez Madeleine », comme une bonne blague, entre deux galopins de bière. Au comptoir, des clients avaient applaudi. Peu à peu, son numéro était devenu une attraction, même chez les mineurs. Et j’en étais fier.

La situation n’a pas encore basculé. L’usage quasiment exclusif de l’imparfait, temps de la répétition, et du plus que parfait (qui énonce ce qui a précédé), le souligne. Joseph a bataillé pour parvenir à cet état de mécanicien. Mais c’est comme un plateau interminable : il s’ennuie.

Lors de la prochaine séance, on s’intéressera à l’événement qui va changer la donne. Nous verrons comment l’auteur l’introduit.

Pistes d’écriture

. Créez une situation proche, pour décrire le parcours de votre personnage. Un désir déçu ou un choix inadapté, puis la décision, ou la tentation, de s’engager dans autre chose.

Vous pouvez aussi imaginer un désir très vite atteint. Dans ce cas, le malaise, la déception ou la perte viendra après.

Vous pouvez vous appuyer sur les premières phrases, en modifiant les éléments que j’ai barrés :

Enfant, Joseph s’était rêvé coureur automobile. Il s’imaginait mécanicien de stand, intégré au ballet des changeurs de pneus. Puis pilote au cœur d’une grande équipe. Et champion, enfin, nous douchant au champagne depuis la plus haute marche du podium.

Et pourquoi pas intégrer une phrase qui vient clore la partie ?

Notre père avait raison. Et comme tous les gars d’ici, la mine a fini par le dévorer.

Si vous avez le temps et l’inspiration : Décrivez une situation de transition, à l’imparfait (ou au présent). Elle peut durer plus ou moins longtemps.

Il passait chaque jour… Des mains honteuses de cambouis…

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