La pêche, par Nyckie Alause

Rose, la couleur, la douceur, le sucré, en un mot la délicatesse.

Jaune, acidité et parfum, en deux mots inoubliable.

Vert, vert de feuille, vert de chou, vert thé, vert blé ?

 

Je n’ai pas ouvert les yeux que déjà la lumière me gagne.

Sous mes paupières closes, j’entends les mouettes, énormes et capricieuses, elles tournoient. Scintillantes écailles, œil vif, nageoires frétillantes sont les proies qu’elles lâchent. Leurs derniers cris ? Verts. Leurs derniers souffles ? Roses. L’huile qu’une goutte d’eau, une larme, un pleur fait grésiller ? Jaune.

 

Jaune aussi l’odeur impérieuse de ce soleil qui ne me laisse d’autre choix que d’agir. Je vais devoir cesser de lutter, lâcher ce drap sous lequel je me terre : desserrer les doigts, relâcher les muscles, déplier les bras, pivoter, toucher le sol froid, gris couleur de terre morte dans l’ombre de la tente, sentir sous les orteils les grains acérés du sable que le vent a semés.

 

L’odeur sèche du feu, une odeur de poussière, et loin très loin, la rumeur de la ville. Il est l’heure dit-il, et il le dit deux fois. Encore un peu, encore.

 

Il est l’heure, dit-il définitivement.

Rose la couleur des viscères, verte aussi si tu regardes bien. Faisant un petit cadre avec pouces et index ça semble fort joli jusqu’à ce que, d’un coup de talon, il crée un creux, un nid, pour ce que nous laissons aux crabes, pour plus tard.

 

Dans la poêle trois poissons se tordent comme pour s’échapper. Jaune le citron, blanc le sel, pâle la chair sous les déchirures.

Je me libère enfin de l’étoffe qui m’a servi de drap, qui glisse sur le sol, un petit tas d’écailles en quelque sorte, irisée par l’usure, glissante par nature.

Assieds-toi.

As-tu déjà déjeuné de poisson à la peau croustillante, à croquer comme… il hésite, ne trouvant pas l’image qui me donnera suffisamment d’appétit. Il reprend, assieds-toi, ne reste pas debout, les mouettes sont prêtes à saisir l’occasion de chaparder ce que la mer nous offre.

Au fond de l’assiette métallique, il a posé des algues vertes et transparentes, une sorte de laitue fraîche qui se recroqueville en accueillant la chaleur de la peau. Une rondelle de citron ? Comment les vagues ont-elles pu lui procurer du citron, c’est mystérieux, du citron, improbable.

 

Vert, le thé, vert et froid, vert et vif, fort et acre. Il agace les dents.

Comment m’y prendre ?

Par moment le vent apporte depuis l’horizon des effluves citadins, disons plus justement une certaine puanteur. Le fumet du poisson grillé prend le dessus. Je suis une automate, je suis un miroir, je fais comme il fait.

Assise en tailleur je creuse un peu pour la tasse dans la fraicheur du sable, comme il vient de le faire. Du dos de la main, un plat pour y poser l’assiette. Entre pouce et index la tête et la queue et, d’un seul coup de dent, d’un seul j’arrache, animale, une bouchée de cette chair de porcelaine juteuse et délicate, porteuse du parfum du feu et dont la parcelle de peau croustille comme des miettes.

Il sourit de me voir, je souris d’apaiser ma faim de ce festin.

Je crois qu’enfin rassasiée, je saurai lui dire merci.

Les mouettes auront leur part.

 

Nous plierons les toiles et nous mettrons les voiles.

Copyright: Nyckie Alause. Photo de Kino sur Unsplash

 

 

 

Pistes d'écriture et textes
Retour