Le secret, par Didier Chabbert

Allongée sur son lit, pénétrée de ces odeurs d’huile, d’acétone et d’éther, Olive rêve en couleur.

Elle vient de revenir à Londres, deux semaines déjà…

La décision fut prise, non pas en secret cette fois, mais en toute autorité, lors de son anniversaire.

Chez ses parents, c’est elle-même qui organisa ce moment festif de bougies, de champagne et de saumon pour narguer le vingtième coup de cloche de sa vie.

« C’est décidé, je pars à Londres à la « Slade School of Fine Art ».

A cette annonce, sa mère se servit une nouvelle coupe de champagne, tandis que son père, tournant les talons, rejoignait les recoins de sa galerie, ne prêtant guère d’attention au projet de sa fille.

Olive en fut longtemps tourmentée.

Elle n’en dirait pas plus sur son projet, préférant taire les détails. 

Elle ne dirait pas qu’elle avait trouvé un hébergement chez un certain Monsieur Burton, peintre et galeriste à Londres, en échange de servir parfois de modèle et de menus travaux d’entretien.

Son rêve secret se réalisait en secret.

Bien décidée à suivre ces cours d’art plastique, à développer sa technique, mais aussi son imagination et son originalité, elle se montrait assidue à tenir son engagement.

A Monsieur Burton, elle ne parlait guère de ses parents, de sa vie dans ce village du sud de l’Espagne, plus secrète que discrète.

Une femme artiste, puissante, indépendante, était en train de naître, soutenue par son mentor.

Chaque jour, chaque tube de couleur, chaque pinceau, chaque toile ébauchée, la faisait grandir.

Dans ce nouveau milieu artistique, la confiance revenait, elle pourrait s’affirmer en tant que femme artiste peintre.

Olive en avait fait la promesse, elle reviendrait chez ses parents pour une semaine à Noël. Elle n’était pas fâchée de quitter la grisaille, le froid et le smog, en échange d’un peu de ciel bleu au sud de l’Espagne.  

Cependant, revoir ses parents la rendait nerveuse, son attachement s’était un peu distendu.

Elle avait encore peur des paroles blessantes de son père, des hauts et des bas de sa mère, mais surtout des non-dits et des mensonges. 

Des non-dits et des mensonges qu’elle avait elle-même entretenus pour se protéger et pour éviter l’affrontement parfois.

La soirée de Noël, à laquelle était convié un couple de voisins âgés, oscilla entre plaisirs joyeux et mélancolie du temps qui passe.

Olive avait apporté, pour offrir à sa mère, un coffret de différents thés, et pour son père, une bouteille de whisky de sa marque préférée.

Mais elle avait aussi, dans son sac une photographie de son dernier tableau, inspiré par « les Filles au Lion »

Elle aurait tant aimé la montrer ce jour-là à ses parents, leur dire qu’elle les aimait, qu’elle était heureuse.

Mais ce fut impossible, comme interdit par une superstition.

Elle pensait à son portfolio et se revoyait un an auparavant, lorsqu’elle n’osait parler de la lettre de la School Art of Fine Art à ses parents.

Elle se retrouvait aujourd’hui, de nouveau, assise au pied du lit de sa mère, un mouchoir plié dans sa main, au bord des larmes, habitée de tant de secrets enfouis… 

 

Photo de Sergio Rodriguez - Portugues del Olmo sur Unsplash

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