Violet et Graham, ou faire connaissance avec des personnages en action, avec La Maison aux sortilèges, d'Emilia Hart

1942.

(...) – Rends-le moi à la fin ! cracha Graham.

Le visage rond de son frère était rouge d’effort et de rage. Il lui en voulait parce qu’elle lui avait volé son cahier d’exercices de latin et lui avait fait remarquer qu’il s’était trompé pour la déclinaison de tous les noms féminins.

– Impossible, lui répondit-elle en serrant le cahier sur sa poitrine. Tu ne le mérites pas. Tu as écrit amor à la place d’arbor, enfin !

(...) Violet ouvrit en grand les portes-fenêtres, pourchassée par un Graham hors d’haleine.

Ils traversèrent en courant le potager qui embaumait la menthe et le romarin, et ils arrivèrent dans l’endroit qu’elle préférait au monde : le domaine. Elle fit volte-face et sourit à Graham. A présent qu’ils étaient dehors, il n’avait pas la moindre chance de la rattraper si elle le décidait. Il ouvrit la bouche et éternua. Il souffrait d’un terrible rhume des foins.

(…) Elle avait atteint son arbre préféré : un hêtre argenté qui avait selon Dinsdale, le jardinier, plusieurs centaines d’années. Violet l’entendait bourdonner de vie dans son dos : les charançons en quête de sa sève fraîche, les coccinelles tremblant sur ses feuilles, les demoiselles, les papillons et les petits oiseaux voletant entre ses branches. Violet tendit une main et une demoiselle vint se poser sur sa paume, ses ailes scintillant au soleil. Une chaleur dorée se diffusa en elle.

– Pouah ! s’exclama Graham, qui avait fini par la rattraper. Comment peux-tu laisser cette chose te toucher ? Ecrase-là !

– Je n’ai aucune intention de l’écraser, Graham. Cette créature a autant le droit d’exister que toi ou moi. Elle est si belle, regarde. On dirait que ses ailes sont en cristal, non ?

– Tu n’es… pas normale, répondit-il en reculant. Avec ton obsession pour les insectes. Père pense la même chose que moi.

La Maison aux sortilèges (Weyward), d’Emilia Hart, traduit par Alice Delarbre, éd. Les Escales, 2023. Extrait du chapitre 2.

 

Dans ce chapitre, les deux adolescents sont construits en opposition :

  • Etude du latin, compétence et curiosité frustrée d’un côté, vision très scolaire et blasée de l’autre.
  • Rapport à la nature : un élan confiant chez Violet, pour qui la nature ajoute à son sentiment d’invincibilité ; méfiance de l’autre, avec l’allergie (rhume des foins) comme facteur aggravant.
  • Violet perçoit la nature avec tous ses sens, en particulier l’odorat. Elle n’en a pas une image idéalisée, mais une vision directe, presque d’entomologiste. Cela ajoute à sa caractérisation. La description du hêtre associe « brume dorée » et « charançons ». Graham est dégoûté par une demoiselle.
  • Le vocabulaire, en particulier les verbes, appuient cette opposition : Violet apparait entière, elle est dans le mouvement, la spontanéité, voire l’emportement (haïssait, dévala, jeta un regard noir, préférait au monde, fit volte-face, tendit une main, se hissa…) Graham est plus dans l’empêchement, il n’a pas décidé et son corps a du mal à suivre (haleter, se vanter, cracha, pourchasser, hors d’haleine, éternua, en reculant, rebroussa chemin…) Violet, à l’aise, peut évoluer dans ses sentiments et pensées tout au long de la scène, elle « sent la morsure de la culpabilité », elle regrette. Graham va vers plus de frustration, d’emportement (il se jeta de tout son poids sur elle).

Tout cela est dit ou suggéré au lecteur à travers une poursuite haletante !

C’est possible parce qu’on ne fait pas que voir et écouter nos deux protagonistes, on entend aussi les pensées de Violet, en style indirect libre, et on vit les choses à travers son regard et ses sensations (elle entendait le hêtre bourdonner de vie derrière son dos). Bien sûr, les enjeux de la poursuite sont limités, ce qui rend plus aisé les remarques et les disgressions. Celles-ci sont liées au contexte et s’en éloignent peu, elles font progresser notre connaissance sans ralentir le rythme (Songer que la veille encore Graham s’était vanté de vouloir partir à la guerre !)

L’auteur nous ramène à l’action en insérant un dialogue (Rends-le moi à la fin !), ou une notation : Elle avait atteint son arbre préféré.

 

Pistes d’écriture :

  1. Réécrire la poursuite à travers le regard de Graham, ou d’un autre protagoniste (le père, Mme Kirkby…) Vous pouvez aussi écrire ce qui s’est passé avant, ou ce qui viendra après.

 

  1. A votre avis, que s’est-il passé, « à une certaine époque » ? De quel point de vue allez-vous le raconter ?

 

  1. Faire découvrir au lecteur un contexte, mais en mouvement, en action. Cela peut être un mouvement lent, ou plus effréné.

Dans les deux cas, le corps, l’action, seront importants : utiliser un vocabulaire qui traduit le mouvement, « dévaler » ou « ralentir », « reculer », « se tapir », « se jeter de tout son poids », « se hisser » ou « se réfréner », « patienter », « contrôler sa respiration »… Nous faire découvrir l’environnement à travers différents sens, l’écoute, l’odorat, le ressenti autant que la vue.
On peut aussi avoir deux personnages, un qui est dans l’élan, l’autre plus dans l’hésitation ou la prudence. Cela peut se ressentir à travers ses actions, ses paroles, mais aussi par le vocabulaire qui lui est associé. Alternez actions et notations, réflexions, dialogues…

 

  1. Caractériser un ou des personnages : leur associer des verbes, un vocabulaire, des attitudes, des préférences, des ressentis… Cela peut être une fiche, un tableau comparatif, un soleil… et pourquoi pas un début de texte.
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