Un train de haïkus, par Chantal Joanny

Piste d'écriture: haïkus et poésie marchombre.

Le train file loin des réverbères,

la fille à la canne, d'un wagon à l'autre,

fuit le garçon soupçonneux.

A quai, elle a sauté les marches et zigzague entre les bagages.

 

Sur la banquette,

tandis qu'au dehors

se pressent les retardataires.

 

Le contrôleur, débordé de billets en appels,

annonce un retard d'1h30

toutes correspondances évincées

 

les minutes tombées

sur le livre ouvert,

il ronfle bouche bée

 

Croisements, effleurements, bousculades

sacs à dos, cannes à pêche, bâtons de randonnée

s'échangent sur les quais

 

La voie A, victime d'un colis suspect, se déverse

en sous-sol pour rejaillir sur la voie B.

Un enfant égaré, suspendu à sa valise rose,

cherche ses parents muets

 

Crissement aigu, enfin le départ.

Fripé, le tailleur de la VRP se faufile dans les travées.

Hommes femmes enfants chats en cage,

chacun cherche sa moitié, les «solo »

quant à eux visent les espaces creux.

 

Roulez, roulez tandis que la nuit enveloppe la campagne.

Qui un sandwich, qui une banane, toux aiguë, pleurs,

sueurs indignes mêlées aux brumisateurs Evian.

Un soda qui roule aux pieds, des papiers négligemment lâchés,

toute une ville à taille réduite se frotte au rythme de l'acier.

 

Sifflement, freinage en longueur,

Ensommeillés, les cous s'étirent.

Des lueurs torves, un quai désert,

Où donc s'arrête t-on ? 

 

1h30 de retard, plus un arrêt en pleine voie,

la fraîcheur est tombée.

Bras et jambes en moulinets, petits et grands envahissent le quai.

Sur les bas-côtés, les herbes réticentes à pousser, entre les rails les graviers maculés,

pétrole macadam, odeurs de goudron, restent collés.    

 

Au loin une barre de lotissements,

piétinements, impatience.

Les provisions épuisées, les batteries de téléphone à plat,

Et cette rumeur telle une vague folle, un suicide sur la voie opposée à quelques kilomètres de là, des restes à évacuer.

Le haut-parleur grésille :

« Les portes vont fermer. Veuillez remonter, s’il vous plait. »

On soupire, on ne croit plus à une possible arrivée.

Embarquement vers nulle part.

Copyright: Chantal Joanny, le 7 juin 25. Photo de Tsuyoshi Kozu sur Unsplash

 

 

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