Communion, par Bénédicte Langlois

Piste d'écriture: haïkus et poésie marchombre

10h

Chez le boulanger
Tremper son pain blanc de larmes
Pour se faire bénir

C’était Marius, le boulanger qui m’avait averti : « ta sœur est passée, tu es invité à la communion de ta nièce. »
- Ma sœur, ma sœur ?
- Oui, ta sœur. Il y a 10 jours déjà. Je ne t’ai pas vu depuis quelques jours, où étais-tu ?
-  Je n’avais pas envie de sortir. 
- Tu n’avais pas envie de manger non plus ! me répondit Marius.
- Pourquoi ? 
- Allez, installe-toi en terrasse … 

Marius ne tarda pas à arriver avec un pain au chocolat, un café et trois sucres :
- Mais attends, la communion c’est aujourd’hui ?
Oui, cet après-midi !
Les gens comme moi, tu le sais, on ne nous invite pas, on ne nous invite plus. 

Ma vie en up and down avait usé prématurément tous mes aimés. À force de voir dans leur yeux la tristesse que je leur provoquais et qu’ils ne savaient plus cacher, j’ai fini par installer ma vie dans une tente, sous le pont à la sortie de la ville, j’ai même découpé un bout de grillage pour me retirer de la ville et des vivants pressés. J’avais laissé les urgences me dépasser, j’avais regardé mes parents inquiets, mes amis lassés, ma petite copine dépassée.

Up : tout me réussissait
Down : je laissais tout s’écrouler

Up : je riais
Down : je buvais

Up : j’existe
Down : je disparais

J’ai choisi le hors-piste, j’ai choisi de passer sous les radars, de rester tapi dans l’ombre. Que les vivants me laissent nourrir mon corps, pas plus qu’il n’en a besoin, le laver dès qu’il sent … Je veux m’abandonner tout entier à enterrer mes ressentiments.

Marius, dans le quartier, c’est le maraudeur. Le rideau de la boulangerie tiré, il arpente les rues et compte, une fois par semaine, les corps qui vivent en tout petit : sous des tentes, dans des voitures qui ne roulent plus, sur les trottoirs ailleurs qu’à Manille : la vie n’est pas une chanson de karaoké.

J’aime tourner le sucre dans mon café : je me sens alors, pour une minute, comme vous tous. Je prends un café en terrasse et c’est tellement banal que je peux enfin offrir une pause à mon silence. Un sourire s’accroche à mes lèvres. Je n’ai pas de miroir dans ma tente, je regarde mon image dans la cuillère : un visage barbu, cheveux mi-longs me font front. J’aimerais ne plus avoir ce sac à dos avec moi, je traîne toute ma vie dedans ; si je le laissais sous la tente, je perdrais tout ce qui le compose.

Marius revient et me dit : « c’est à 18h, église St-François, tu sais où elle est ? C’est route de Castelnau, le tram ne s’arrête pas loin. Prends ces 20 € et donne mon bonjour à ta sœur ».

11h40

Je ne connais plus aucune prière. Ma communion ? elle est passée sans moi. Je jouais au foot derrière l’église, ils n’ont même pas vu qu’il leur manquait une ouaille. L’enfant que j’étais avait bien trop de cœur pour aimer un saint. Ce jour-là, je le sais, je suis passé pour un crétin. L’honnêteté a ce prix-là.

Ma « Miette » avait dû sacrément insister pour que ma sœur m’invite. Ma famille doit même penser que je suis mort. Cette pensée ne leur fait même plus peur, je crois même qu’ils l’espèrent pour ne plus porter le poids de leur impuissance. Mes up et mes down sont une danse qu’on n’apprend dans aucun cours, mais comme à la bourse, il faut accepter de perdre et de gagner, vivre au jour le jour. Habiter les up et dépasser les down. J’ai appris à rebondir. Tiens, le type de « tomber 7 fois, et se relever huit » s’est envolé hier soir, c’est écrit dans le journal.

Moi, je ne tombe ni ne me relève, je rebondis. J’ai laissé pousser ma barbe pour disparaître, même à mes yeux, pour oublier mon visage, et pour que personne ne reconnaisse qui je fus. Mes cheveux ont poussé aussi et j’ai mis ce bob pour qu’ils ne me gênent plus : eux aussi, je veux les oublier. Jean noir, T-shirt noir. Je porte mon deuil. C’est surtout que le noir ça ne se salit pas et que c’est une tenue de jour comme de nuit. Je ne suis plus un homme, mais son calligramme. Je me fonds de sang d’encre et me confonds sans excuses.

Une femme s’installe, m’interpelle : « Vous pouvez garder mes sacs, le temps que j’aille aux toilettes ? Il y a une brocante ou des puces, au bout de la rue, je ne sais pas trop mais j’ai tout dévalisé. Merci. ». Lorsqu’elle est revenue, j’ai salué Marius, et je suis parti trouver une veste sur le marché pour être présentable à la communion.

20 € : garder cinq euros pour le tram, faire de la monnaie pour donner à la quête : c’est quand même un comble, c’est moi qui vais donner au curé ! Deux euros pour mettre mon sac en consigne à la gare, passer me faire parfumer au Polygone, ça c’est gratuit. Utiliser les toilettes pour me laver un peu, c’est un euro et avec le reste : trouver un cadeau pour ma Miette. J’ai de la veine, c’est le jour des puces dans le quartier.

11h55

Objets dépareillés
Leur vie toute à mes pieds
Cherchent nouveau foyer

Le poids du temps est
Emmitouflé bien caché
Dans cette couverture

Livres déjà lus
Offerts 2 peut-être 3 fois
Espèrent lecteurs

Chaussures peu portées
Chics et brunes à lacet
Cher Hemingway

Tweed écossais vert
Élimé à manches courtes
Avec tous ses boutons

Le noir convient pour toutes les circonstances, par tous les temps.

- La veste ? C’est quelle taille ? Cinq euros ? Elle est grise ?
- Gris souris.
- Pour un rat sans opéra, comme moi. C’est vendu.

La vendeuse d’un jour m’a dit que je faisais une affaire, que la veste était à son père, qu’il ne l’avait jamais portée.

Soie bleue au revers
Ne pas la retourner tôt
Pour ne pas prendre

Une veste, me voilà prêt. Avant la communion, j’irai me raser dans les toilettes du polygone. Dans le quartier, personne n’acceptera de me vendre un rasoir.

Up : me raser
Down : me tuer

- C’est une trousse de toilette ? Je peux l’ouvrir, Mademoiselle ?

À l’intérieur :

Cinq brosses à dents
 un rasoir, une recharge
Feront mon bonheur

Deux euros.

- La broche est à trois euros, le bracelet à cinq, les boucles d’oreilles fantaisie à à quatre euros.

Marché artisanal
Vraies breloques fantaisies
Cadeau unique

15h15

C’était un jour UP and GO.

Je ne sais pas ce qu’il y aura après la communion pour moi. Il me restera toujours assez pour boire une bière avant de regagner ma tente. Je reprendrai mon sac à la consigne, enfermerai dans le casier le souvenir de cette journée heureuse. J’aimerais qu’elle s’étende quelques heures après la communion, qu’on m’invite à dîner ensuite, qu’il soit trop tard pour qu’on me laisser rentrer, que l’on me garde à dormir. Je sais que cette fois-ci, je resterai up.

Juste un dîner, une nuit et au petit déjeuner, je reprends ma vie en main. Je laisse mon sac en consigne. Je m’inscris à Pôle emploi ! Quand je pense que sur les étals de la brocante, les gens qui vendent leur passé dépassé possèdent plus que mon présent délavé. En additionnant les deux aujourd’hui, je m’offre un avenir radieux. Merci, Marius.

Il était moins 1
Ma vie a coûté 20 euros
Un samedi 10

 

À une communion
Renaître à moi-même fée
Unir up and down

Peut-être.

Copyright: Bénédicte Langlois. Photo de Donatella D'Anniballe sur Unsplash

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