Drôles d'oiseaux, par Roselyne Crohin

Piste d'écriture : imaginer la suite d'un extrait du roman « Ce que les étoiles doivent à la nuit » d'Anne-Gaëlle Huon.
Balthazar, qui souhaite écrire son premier reportage, pénètre par effraction dans un parc, de nuit. Il est surpris par un orage et se retrouve tout ruisselant, avec son calepin complétement détrempé. Tout à coup, apparaît une rousse sublime, accoutrée d'une drôle de coiffe surmontée d'oiseaux multicolores et d'une longue traîne de plumes rouges. Balthazar est hypnotisée par sa beauté. Quand un nouveau coup de tonnerre suivi d'un éclair fait détaler un zèbre, la  reine de la nuit le somme de le rattraper. Il réussit à ramener l'animal et à l'attacher, tandis qu'elle l'observe d'un air goguenard et fait remarquer que ça aurait été plus drôle avec une autruche. Ils finissent par se présenter. Elle s'appelle Romy.

- Vous venez souvent ici ? elle a demandé. 
- Non, c'est la première fois, j'ai répondu.
Elle a acquiescé, puis ajouté, en ramassant sa traîne
- Venez, je vais vous faire visiter.

La pluie s'était arrêtée. Quelques éclairs au loin continuaient à zébrer un ciel d'encre, tandis que du zèbre bien réel que j'avais dompté, je venais de relâcher les rênes.
- Attachez-le ici, elle dit en me montrant une des colonnes du kiosque.
Docilement, celui-ci se laissa mettre le licol autour du cou.

Nous marchions dans la nuit. Une chouette hulotte semblait nous appeler au loin. Au bout d'une allée, de vagues lueurs orangées tremblotaient. Mes pieds faisaient floc-floc et la longue traîne de Romy crissait au contact de l'herbe mouillée.

- Ainsi, vous vous intéressez à notre troupe, m'a interrogé Romy au bout d'un long silence.
- Oui, oui, bien sûr… 
Je ne voulais pas la contredire, mais je ne voyais pas à quoi elle faisait allusion. Mon rédac-chef me répétait sans cesse : « Un bon journaliste en dit le moins possible. Il doit laisser son interlocuteur se révéler, en répétant par exemple les derniers mots qu'il a prononcés pour l'inviter à poursuivre. À la manière d'un psychanalyste, en quelque sorte ». 
Je ne savais rien de ce que j'étais censé trouver cette nuit dans cette villa. Le chef m'avait donné l'adresse et m'avait dit qu'il y avait matière à faire un bon papier pour un jeune scribouillard plein d'imagination comme moi. Ce n'est pas tant que j'aie de l'imagination, mais je dois avouer qu'il m'arrive toujours des aventures qui dépassent la fiction.
- Votre troupe fait dans le spectacle vivant, j'imagine ?
- Oui, rien de plus vivant que nous. Vous n'allez pas tarder à le constater.

À mesure que nous approchions de la villa, il me semblait percevoir des petits gloussements, des froissements d'ailes, puis je distinguai au loin un gros oiseau qui ressemblait à une autruche. Étais-je influencé par la remarque de Romy lorsque je lui avais ramené son zèbre ?
- Ah, la voilà l'autruche dont vous parliez à l'instant, je lui dis.
- Vous n'êtes pas très connaisseur, à ce que je vois, jeune homme. Il s'agit d'un émeu. Les autruches sont beaucoup plus grandes. Celui-ci s'appelle Edgar. Il n'est jamais tranquille lorsque je m'éloigne dans le parc et il vient toujours à ma rencontre. Quand je pars me promener, je suis obligée de ruser pour qu'il ne me voie pas. Un vrai petit toutou. Mais moi, je n'ai pas toujours envie de l'emmener avec moi. Mais venez, vous allez faire connaissance avec le reste de la compagnie.

Faiblement éclairée, la villa se laissait maintenant deviner. Quelques marches, une terrasse et une immense véranda où on pouvait apercevoir des plantes tropicales : bananiers aux manches déchiquetées, palmiers de toutes variétés, philodendrons grimpeurs, orchidées aux couleurs chatoyantes... En pénétrant dans cette forêt vierge qui me rappelait la Guyane de mon enfance, j'ai perçu immédiatement qu'elle était habitée par tout un petit monde qui s'y dissimulait.

- Venez Balthazar, ordonna-t-elle. Je vais commencer par vous présenter Igor. Vous aurez le temps ensuite de découvrir les occupants de notre volière.
Dans un rocking-chair acajou, au milieu d'un salon chargé de meubles et de tapis orientaux, trônait un presque vieillard au regard vif, un plaid satiné sur les genoux.
- Igor, je te présente Balthazar, un jeune journaliste qui s'intéresse à notre travail.
- Bienvenue Balthazar. Ce n'est pas souvent que nous avons l'honneur de la presse. Depuis que nous avons arrêté nos tournées, il y a plus de vingt ans, plus personne ne s'intéresse à nous. Romy, ma petite-fille, n'a pas connu la belle époque où nous courions de festival en festival.
- Enchanté Igor, je suis ravi de faire votre connaissance et j'aimerais beaucoup que vous me racontiez cet âge d'or.
- Asseyez-vous là sur ce sofa. Fiodor, mon marabout va se pousser un peu. Allez Fiodor ! Il est un peu sourd. Il a plus de trente ans maintenant et il n'aime pas trop qu'on le bouscule.

Moi qui n'avais jamais vu de près un marabout, j'étais complètement subjugué par cet oiseau qui semblait venir du fond des âges et qui arborait un horrible jabot rose tout fripé. Et ce n'était pas le seul oiseau présent dans la pièce. Un couple de corbeaux ou de corneilles nous observait, d'un air narquois, du haut d'une armoire. Sur une étagère de la bibliothèque, je reconnus un toucan multicolore. Des ibis d'un rouge très vif arrivaient en catimini de la véranda, intrigués par le nouveau venu que j'étais. Avec ces oiseaux, tous plus exotiques les uns que les autres, je ne m'étonnais plus de l'accoutrement de plumes de Romy.

Tandis que je me remettais petit à petit de mon étonnement, on avait approché un immense samovar de cuivre et un plateau avec des petites tasses de porcelaine fine.
-    Tenez, me dit Romy en me tendant un thé brûlant. Pour vous remettre de vos émotions.
Puis elle s'assit à son tour dans un petit fauteuil en velours grenat, face à moi.
-    Alors mon garçon, vous voulez écrire un papier sur la célèbre Volière Dromesko ? reprit Igor après avoir avalé une gorgée de thé.
-    Oh oui, avec plaisir... seulement mon carnet est tout détrempé. Romy, vous pourriez me dépanner de quelques feuillets ?
-    Ah, je ne crois pas. Je suis désolée, me répondit-elle.
-    Alors, vous allez devoir tout retenir de tête ! renchérit avec autorité Igor.

Passé un instant de panique, je me suis concentré, sous l’œil bienveillant du marabout, et je me suis efforcé de tout retenir dans les moindres détails.

Je ne suis pas certain d'avoir été complètement fidèle à l'histoire rocambolesque de la Volière Dromesko, mais l'essentiel c'est que mon article a été du goût de mon rédac-chef.  Et ce n'est pas sans une certaine fierté, qu'une semaine plus tard, j'ai pu apporter à Romy la dernière édition de mon canard, tout enrubanné des plumes de paon que j'avais glanées dans sa propriété.

Copyright: Roselyne Crohin

Photo: un marabout

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