Aléas, par Marianne Girard
Piste d'écriture: Romy, Balthazar et le zèbre
Ploc.
Ploc.
Ploc.
Eh bah super.
Ploc.
La pluie.
Ploc.
Il ne manquait plus que ça. J’ai passé la journée à tenir la porte à des idiots, à faire des courbettes à des abrutis, tout ça pour que le ciel me pisse dessus.
Je me vois encore ce matin, me disant : « mais non, regarde ce temps ! Je ne vais quand même pas m’embarrasser d’une veste ! ». Je me demande qui, de moi ou de mes clients, est le plus débile. De toute évidence, le pauvre type trempé qui tient la porte et sert les cafés, c’est moi.
Ding dong !
Ding dong !
Les cloches me narguent depuis la tour de la cathédrale. Je n’ai qu’une envie : leur crier de la fermer. Mais je ne vais pas en plus me mettre à parler à des cloches. La pluie s’intensifie. Je n’ai plus le choix : je serre les poings et j’accélère le pas. Je traverse la rue pour prendre à droite.
Biiiiip !
« Mais il est malade, celui-là ! »
Ah, je crois que ça s’adresse à moi. Facile à dire quand on est bien au chaud dans sa voiture. Mais au rythme où va la pluie, il aura raison d’ici demain. Je me vois déjà au fond de mon lit, en train de téléphoner à mon patron pour lui annoncer que je ne viendrai pas. J’en salive d’avance.
Rrrrr.
Rrrrr.
Rrrrr.
Le métro me rappelle que je suis toujours dehors sous la pluie. Ainsi, je n’aurais pas le droit à mes deux minutes de pensée positive quotidiennes. Dans son livre, le docteur Pioule ne précise pas que le métro peut nous interrompre.
Merde ! Le livre ! Il est resté au café ! Quelle tuile ! Mes saletés de collègues vont encore se foutre de ma gueule. Je les entends d’ici : « Alors, Maurice, on fait du développement personnel ? », avec cet accent pédant qu’on prend quand on imite les bobos qui nous servent de clients. Heureusement, ma réponse est toute prête : « Qu’est-ce que tu crois, Vince ? Je ne veux pas finir comme t… »
Crac.
Qu’est-ce qu’elle fiche là cette branche ? Il n’y a pas de parc dans les deux cents mètres à la ronde.
Ouaf !
Ne me dites pas que… ah. Si : un chien de berger, qui doit bien faire mon poids, se précipite dans ma direction, la langue pendante. Je soulève mon pied : son jouet est brisé en deux.
Ce n’est pas possible ! J’ai l’œil aujourd’hui ! Le propriétaire n’est pas loin derrière son canidé, qui, assis devant moi, regarde alternativement son bâton, puis mon visage, l’air impatient. Je n’attends pas son maître : je suis assez trempé comme ça et il a un parapluie. Je lance la moitié du bout de bois et je repars.
Enfin, j’atteins la porte de l’immeuble.
Squik.
Squik.
Squik.
Je couine des pieds jusqu’à l’ascenseur. Mon tee-shirt blanc révèle toute mon anatomie. Heureusement que je ne suis pas trop mal fichu : imaginez un type bedonnant à ma place !
Ding !
Les portes s’ouvrent.
Zouip !
Évidemment, mouillé comme je suis, je tombe.
« Vous allez bien, monsieur ? »
Je l’ai regardée. Dieu ne s’est pas fichu de moi : si c’est pour retomber sur elle, j’enchaînerais mille journées comme ça.
Copyright texte: Marianne Girard. Photo de Josh Hild sur Unsplash