Fin d’un conflit en Méditerranée, par Bernard Delzons
Piste d'écriture: Romy, Balthazar et le zèbre
Je suis parti d’un court extrait du roman « Ce que les étoiles doivent à la nuit » de Anne-Gaëlle Huon pour imaginer une suite rocambolesque. Dans ces extraits on faisait la connaissance de deux personnages, un apprenti journaliste qui a pénétré clandestinement dans une propriété pour y faire un reportage, une jeune femme habillée de manière élégante mais excentrique. Ils viennent de se rencontrer sous un kiosque, à l’abri des pluies fortes d’un orage. La présence d’un zèbre inattendu vient compléter le tableau.
La jeune femme vient de demander au journaliste de lui faire visiter les lieux…
J’étais assez fier de moi, j’avais réussi à passer par-dessus la grille sans trop de dégâts. Enfin presque, ma veste s’était accrochée et j’avais maintenant une poche déchirée qui pendait lamentablement. Pourtant je savais que je ne risquais pas grand-chose, car les chiens étaient sûrement enfermés en raison de la réception. J’avais à peine fini de me congratuler qu’une pluie orageuse soudaine s’était abattue, et je n’avais pas trouvé ce kiosque assez rapidement pour ne pas être détrempé de la tête au pieds. J’avais à peine repris mon souffle que je découvris cette femme dans la pénombre, qui m’observait en fumant une cigarette. C’est elle qui m’adressa la parole en premier et je cherchais quoi répondre, compte tenu de ma clandestinité sur le lieu, quand un zèbre était apparu. Elle dit : il faut le rattraper. Sans réfléchir j’ai foncé après lui et l’ai ramené près du kiosque. Je savais m’y prendre avec les animaux. C’est là que l’inconnue reprit son questionnement !
J’avais trop parlé, c’était sûr, comme d’habitude ! Comment allais-je pouvoir lui faire visiter ce lieu que je ne connaissais pas moi-même. Elle avait dit : « vous me faites visiter ? » Avait-elle deviné l’étrangeté de ma présence dans cette propriété, surtout maintenant que la pluie m’avait enlevé toute trace de dignité et de sérieux. Était-elle, comme moi, une invitée surprise, impossible, pensai-je, avec sa traine de plumes rouges ! Il fallait gagner du temps, le mieux c’était encore de s’occuper du zèbre. J’accrochai tant bien que mal le ruban de satin qui lui servait de licol à la balustrade qui entourait le kiosque. Alors seulement je remarquai que l’animal était couvert par une sorte de tissu. Je l’enlevai comme je pus pour le mettre plus à l’aise. Je découvris alors que mon zèbre n’était autre qu’une mule déguisée. Pourquoi lui avait-on mis un pyjama rayé ?
La femme continuait à m’observer, l’air goguenard. Il fallait faire quelque chose. Alors j’ai répondu à sa question : « Moi, c’est Balthazar. » Elle éclata de rire en entendant mon prénom. Elle ne dit rien, mais je pouvais deviner dans ses yeux ce qu’elle pensait : « Pour un roi mage, il est bien insignifiant ! » En me regardant, elle ajouta : « alors, on y va ? »
Je ne savais pas où, n’étant jamais entré dans ce parc avant cette soirée. Je me décidai à suivre la musique qu’on entendait au loin. Je lui tendis la main pour l’aider à descendre les marches et je tentai de ramasser sa traine pour qu’elle ne s’abime pas dans les flaques. Nous allions nous éloigner quand derrière nous une voix grave se fit entendre. « Vous n’allez quand même pas me laisser là tout seul." Je me suis retourné, il n’y avait personne sauf cette malheureuse mule. Je haussai les épaules, prêt à partir cette fois. Une nouvelle fois, la voix grave reprit : « Alors toi le clown, tu vas me détacher. » Je m’étais retourné assez vite et il n’y avait aucun doute, c’était le zébré qui s’était exprimé. Je vis, là, une opportunité. J’allai vers l’animal, le libérai et, l'emmenant à proximité de la jeune femme, je lui fis comprendre qu’elle serait mieux sur le dos de l’animal. Il fallut s’y reprendre à plusieurs fois pour l’installer, mais finalement, Romy avait fière allure avec sa crinière rousse qui débordait sous son chapeau, et ce ruban couvert de perruches ondulées. La traine bien arrangée sur la croupe de l’animal, nous partîmes à la recherche du château.
Cette propriété appartenait à un richissime prince saoudien et je savais que sous couvert de bal costumé, il devait s’y tenir une réunion importante avec l’espoir d’arrêter un conflit qui durait depuis plusieurs années. J’avais découvert l’affaire par hasard, en surprenant une conversation tenue dans les toilettes de l’hôtel « Exelcior » de Cannes. Ce n'était pas aussi explicite, mais il m'avait suffi de quelques recherches dans le journal où je travaillais comme pigiste pour comprendre de quoi il s’agissait. Le prince achetait beaucoup d’armes à la Turquie et vendait une grande quantité de pétrole à la Grèce. C’était l’occasion unique pour moi de booster ma carrière et de devenir un vrai journaliste.
Je tenais la mule par sa bride en soie et nous avancions au son de la musique qui devenait de mieux en mieux perceptible. Bientôt, nous pûmes apercevoir la belle demeure bien éclairée, alors que nous étions, nous, bien cachés dans le bosquet qui nous séparait d'une cour couverte de gravier. Les fenêtres étaient ouvertes, on pouvait apercevoir des couples enlacés sur une valse lente. Pour plaire à leur hôte, tous les invités s’étaient crus obligés de s’habiller en princes ou princesses du désert. Un homme seul, en smoking noir, regardait les gens se déhancher sur le plancher de la salle de bal. À son teint mat, à ses cheveux bouclés, à sa barbe noire, cet homme ne pouvait qu’être le prince du Moyen-Orient. Parfaitement occupé à observer la scène, j’avais relâché le maintien de la bride. La mule en a brusquement profité pour s’éloigner. Nous ne pouvions crier, ni moi ni Romy, sous peine d’alerter tout le service d’ordre qui veillait sur la soirée. Heureusement, l’animal s’arrêta devant un bouquet de chardons qu’il commença à dévorer. J’aidai la jeune femme à descendre de sa monture et abandonnant l’animal à son festin, nous recommençâmes notre observation.
Alors seulement, l'inconnue se présenta pour de bon. Elle était agent secret de la Turquie et elle était là pour découvrir ce qui se tramait entre l’émir et les États-Unis. Je la regardai stupéfait, ne comprenant pas comment elle pouvait espérer passer inaperçue avec la tenue qu’elle portait. Comme si elle avait compris ce que j’avais dans la tête, elle me souffla à l’oreille : « Plus on vous voit, moins on vous observe, et en plus avec ce décolleté dans le dos, plus aucun homme ne pense à autre chose qu’à… » Elle s’arrêta et reprit : « heureusement, ma traine me protège de leur regard libidineux. » Elle me regarda à nouveau et ajouta : « Vous vous êtes différent, de toute façon avec votre costume et votre chapeau déformés par la pluie, vous savez que vous n’avez aucune chance. » Une voix grave derrière nous ajouta : « ça, c’est bien vrai. » C’était la mule.
Il fut alors décidé de nous avancer vers le perron, Romy avait dit : "J’ai des cartons d’invitation." Nous voilà donc partis tous les trois vers le château. Aussitôt, des militaires en uniforme nous entourèrent. Je dois l’avouer, j’étais terrorisé. Une voix grave lança un « Garde à vous », je me retournai pour voir notre mule se comporter comme un capitaine. Les soldats l’entourèrent aussitôt. Le prince était sorti, il s’avançait vers nous. Il s’inclina devant la jeune femme, ses yeux brillaient de désir, était-ce pour la beauté de la femme ou pour les bijoux qui scintillaient sur sa robe? Avec moi, le comportement de tous était différent. On m’avait mis des menottes et un soldat pointait son arme sur moi. Alors on entendit un bruit fort. Un énorme aigle m’agrippa avec ses griffes, et s’élança dans le ciel avec moi avant que quiconque ne songe à me tirer dessus. La jeune femme remua brusquement et avec agilité, sa traine en plumes et s’envola, elle aussi. Je n’ai eu que le temps d’apercevoir la mule s’élever à son tour dans le ciel, tel un cheval ailé.
J’avais été sonné, j’avais sans doute perdu connaissance. Quand je repris conscience, j’étais sur les marches du palais du festival, seul. Ma montre indiquait six heures. Vu la clarté ambiante, j’estimai que c’était le matin. Je me dirigeai vers le premier café ouvert et commandai un whisky bien tassé. À la télévision, je vis la femme du kiosque au côté d'un homme au pull rayé, noir et blanc. Ils expliquaient que les États-Unis, ayant appris la présence de terres rares sur cette île de la Méditerranée, avaient déclaré vouloir l’annexer, mais pas pour en faire un hyper « Club-Med ». Je regardai l’homme et trouvai qu’il avait de bien grandes oreilles, et une voix reconnaissable à des lieues à la ronde ! Je partis aussitôt pour mon journal. Ma carrière était lancée, j’en étais sûr. Je tenais un scoop.
Vous n’allez sans doute pas me croire, mais mon rédacteur en chef n’a jamais voulu que je publie cette histoire dans le journal local !
Copyright texte: Bernard Delzons
Photo de Stephane YAICH sur Unsplash