Un bonnet de piscine fuchsia, par Florie (épisodes 1 et 2)
1
Elle débarque un beau jour au cours d’aquabike du lundi matin. Je la remarque tout de suite à cause du bonnet de piscine rose vif qu’elle porte sur la tête. Personne ne porte de bonnet ici, puisqu’à aucun moment nous ne mettons la tête sous l’eau. Elle est toute fluette, pâle comme une fesse de Norvégien, ce qui n’en rend son bonnet ridicule à l’improbable couleur que plus visible.
Mes potes savent tous que si j’ai choisi, pour me mettre en forme avant d’aller au boulot, cette surprenante activité physique plutôt que de la musculation en salle, c’est surtout pour pouvoir mater en toute discrétion les quelques filles de moins de quarante ans qui y participent. Ils me charrient bien un peu avec ça, mais au fond ils sont tous un peu jaloux de ne pas avoir l’audace de faire la même chose. Je suis le seul mec ici et j’attire donc spontanément l’attention. Mon jeu favori consiste à mater en douce une nana qui me plaît pendant plusieurs semaines, tout en prétendant que je ne lui accorde aucune attention, puis à la séduire et à la ramener chez moi le plus efficacement possible. C’est avec la dernière en date, Stéphanie, que j’ai battu mon record. Elle m’a suivie après deux séances de charme seulement. Ensuite, le temps durant lequel je les garde dépend clairement du plaisir que je prends avec elles et de leur envie ou non de faire durer la chose. Si j’ai battu un record de chasse avec Stéphanie, je n’ai goûté à sa compagnie qu’une seule fois. Depuis, on ne la voit plus à la séance de huit heures trente, je la soupçonne d’avoir changé de cours pour ne plus avoir à me croiser, et je m’en fiche totalement.
Je ne m’attarde pas longtemps sur la nouvelle ; même si elle n’est pas trop vilaine à regarder et doit avoir environ trente-cinq ans, elle n’a rien de suffisamment attrayant pour mériter une véritable attention de ma part.
Je m’installe par habitude sur un vélo de la rangée du fond, mais le spectacle n’est pas très réjouissant, maintenant que Stéphanie a quitté le groupe. La nouvelle a choisi la place juste devant moi et je l’observe de temps à autre pour passer le temps. Je me demande comment elle peut trouver la force de simplement pédaler, avec les allumettes qui lui servent de jambes, et effectivement, je constate assez rapidement qu’elle a du mal à suivre le rythme ou à rester plus de quelques secondes debout sur ses pédales. Elle me fait vaguement pitié et je me demande pourquoi elle est venue là.
Après une quinzaine de minutes à peine, elle s’écroule sur son guidon au beau milieu d’un sprint et Rachel, la coach, s’approche d’elle pour lui dire de ne pas forcer, de ne pas s’inquiéter et de faire ce qu’elle peut, qu’elle peut s’arrêter dès qu’elle en a besoin, et qu’elle doit être patiente, qu’avec le temps, elle pourra en faire de plus en plus. A la façon dont elle lui parle, je comprends que la nouvelle n’est pas juste une pauvre fille qui n’a jamais fait de sport de sa vie, mais plutôt quelqu’un qui se remet de quelque chose et n’est pas au top de ses capacités. Je hausse intérieurement les épaules, après tout, je m’en fiche pas mal, et je porte plutôt mon regard sur Nadine, la cinquantaine, qui en fin de compte n’est pas si mal conservée, et dont la cambrure du dos est tout à fait délicieuse. Je sais qu’elle est mariée, le challenge me plaît décidément beaucoup.
Malgré son évident état de faiblesse, Clémence (c’est le nom de la nouvelle, j’ai fini par l’apprendre) vient trois fois par semaine au cours de huit heures trente. Elle porte toujours son stupide bonnet rose et elle peine toujours autant à suivre le rythme, mais elle persiste à être là, bien à l’heure, occupant toujours le vélo juste devant le mien. Je me concentre sur Nadine, qui est officiellement devenue ma nouvelle cible, deux vélos à gauche de Clémence, mais la fille au bonnet étant juste devant moi, mon regard tombe parfois sur elle sans que je ne le veuille vraiment. Tandis que nous exécutons l’une de mes positions favorites, car elle m’offre un spectacle tout à fait divertissant, nous contraignant à nous tenir penchés en avant sur nos bicyclettes sans roues, les fesses en arrière, mes yeux dérivent du postérieur de ma cible à celui de Clémence et, brusquement détourné de ses plans sur la meilleure façon d’amener la gentille Nadine à s’intéresser davantage à ma personne qu’à son époux, mon esprit formule cette pensée impromptue : putain, elle a un joli cul pour une crevette, la nouvelle ! Bien sûr, elle s’écroule, essoufflée, avant la fin du temps imparti, mais il n’empêche : j’ai bien aimé ce que j’ai vu et je décide de délaisser pour un instant la plantureuse quinquagénaire mariée au profit des petites fesses de Blanche Neige moulées dans son maillot de bain noir.
Après trois semaines, pour la première fois, Clémence débarque au bord du bassin sans son éternel bonnet. Aussitôt que je l’aperçois, je suis secoué d’un rire intérieur ; elle a les cheveux aussi courts que les miens et, pour ne rien arranger, ils semblent répondre à une discipline qui leur est propre, bouclant et tire-bouchonnant dans toutes les directions. Franchement, elle était plus présentable avec son machin rose sur la tête ! Quelque chose de mon rire intérieur a dû transparaître sur mes lèvres, car elle me jette un regard noir et se détourne ostensiblement pour aller s’installer à sa place habituelle. Et puis, alors que nous commençons à pédaler, toutes les pièces du puzzle se mettent enfin en place dans mon esprit : le bonnet, les cheveux courts, la faiblesse, l’indulgence de Rachel qui ne laisse d’ordinaire rien passer… Cette fille a eu un cancer, et elle tente de s’en remettre. Je ne sais pourquoi, cette pensée me procure une drôle d’impression. D’ordinaire, la maladie me dégoûte. Au lieu de cela, je regarde le petit cul parfait de Clémence s’agiter avec plus d’attention qu’auparavant. Je découvre que des muscles fins commencent à se dessiner le long de ses cuisses et de son dos ; cette vision est tout à fait charmante. C’est avec une énergie nouvelle que je poursuis mon pédalage : sans m’en être aperçu, je comprends que j’ai changé de cible.
Clémence vient à pied jusqu’au complexe sportif. Je ne sais pas d’où elle vient et je ne m’autorise jamais à suivre mes cibles, c’est l’un de mes principes de base. Elle a toujours de terribles cernes sous les yeux, elle peine toujours, bien qu’un peu moins qu’au début, à suivre le cours jusqu’à la fin, mais elle ne vient ni ne repart jamais en voiture. Je remarque de plus en plus de choses à son sujet : ses traits tirés lorsqu’elle arrive des vestiaires, comment elle semble se détendre lorsqu’elle entre dans l’eau, la façon dont son dos se contracte lorsqu’elle arrive au bout de sa résistance physique mais qu’elle essaie quand même de continuer encore un peu…
Une nouvelle fois, nous pratiquons cet exercice nous obligeant à nous pencher en avant à l’extrême sur nos vélos immobiles, et, le regard rivé au joli spectacle que m’offre ma voisine de devant, je pédale de toutes mes forces, cette adorable vue me donnant envie de la rattraper. Comme toujours, tandis que mon corps se concentre sur l’effort, je laisse mon esprit vagabonder et imaginer ce que je ferais, si j’arrivais à son niveau. Une pensée m’assaille alors avec une force inattendue. D’habitude, dans les errances de mon imagination, mes mains s’adonnent à une exploration approfondie de ce que mes séduisantes cibles ne me laissent qu’entrevoir. Mais, hors de tout contrôle, mon cerveau m’impose aujourd’hui une image d’un tout autre genre. Je me vois enrouler un bras autour de sa taille, la soulever et la faire descendre de son vélo, la serrer doucement contre moi et lui dire qu’elle n’a pas besoin d’en faire autant, qu’elle n’a pas besoin de s’épuiser ainsi pour prouver qu’elle est une battante, qu’elle le prouve déjà à chaque instant.
« Adrien ! Personne ne t’a demandé de faire la sieste ! »
Je sursaute violemment ; je réalise brusquement que j’ai totalement cessé de pédaler. A mon grand désespoir, Clémence se retourne et me jette un regard moqueur. Je lui renvoie le plus sarcastique des sourires de ma collection et elle se détourne aussitôt. Je soupire de soulagement tandis que mes jambes s’activent à nouveau ; je crois qu’elle n’a rien remarqué de mon trouble.
Je n’ai pas eu le choix, j’ai dû parler de Clémence à mes amis. D’ordinaire, le récit de mes conquêtes est un rituel que nous apprécions tous beaucoup, lors de nos interminables soirées du vendredi, après le travail. Tout manquement à cette habitude aurait paru suspect. Je leur ai donc raconté le joli petit cul de Clémence, le pouvoir d’attraction de son corps fragile. Ils m’ont une nouvelle fois taquiné avec le fait qu’il serait peut-être temps, à quarante ans, que je cesse de me comporter comme un adolescent. Tout s’est déroulé exactement comme d’habitude. Mais je ne leur ai pas dit mon secret. Je ne leur ai pas dit que, chaque jour, j’attends l’arrivée de cette femme avec le cœur qui palpite comme je ne l’ai jamais senti tambouriner auparavant, en me demandant si elle va bien, si elle a suffisamment dormi, si elle va réussir à tenir jusqu’au bout du dernier exercice du cours sans retomber sur sa selle. Je ne leur ai pas dit que j’applaudissais intérieurement chacune de ses petites victoires sur la fatigue, que j’avais envie de la serrer dans mes bras chaque fois qu’elle abandonnait en poussant un soupir. Ils me disent tous qu’ils espèrent qu’un jour, je vais rencontrer quelqu’un, parce que même si mes histoires les amusent, ce sont de bons gars, de vrais amis, et ils souhaitent sincèrement qu’il m’arrive un jour quelque chose de plus grand que mes plans cul. Pourtant, je fais croire que rien n’a changé, que tout est parfaitement ordinaire. Je suis terrifié à l’idée que les choses changent. J’ai l’impression que, si je dis la vérité, ce petit monde qui est le nôtre va exploser d’un coup et ne sera plus jamais le même. J’ai peur de ne plus entendre leur rire un peu gras lorsque je leur raconte un détail croustillant, leurs encouragements lorsque je leur parle d’une nouvelle proie. J’ai peur de n’être plus rien à leurs yeux si je leur avoue mon secret.
2
Ça fait bien deux mois que Clémence nous a rejoints quand je me décide enfin à lui adresser la parole. C’est un mercredi matin et, lorsque je sors du complexe sportif, douché, habillé et parfumé, prêt à me rendre au travail, je la trouve debout sur le trottoir en train de tapoter un texto sur son téléphone. Elle porte un t-shirt rose et un jeans un peu trop grand, sans doute n’a-t-elle pas renouvelé sa garde-robe après avoir perdu du poids. Je m’immobilise à sa hauteur et je me rends compte que je ne sais absolument pas quoi lui dire. Parler aux femmes m’a toujours été très facile, je propose d’aller boire un café après le travail, je sais trouver le ton, le regard, le sourire qui peuvent tout à la fois mettre en confiance et séduire. Mais aujourd’hui, je suis totalement vide. Je ne veux pas lui donner l’impression que je la drague, je ne veux pas lui faire peur, j’aimerais pourtant qu’elle sache qu’elle ne me laisse pas indifférent, et j’ai l’impression d’être un écolier face à sa toute première fille. Finalement, je prends une inspiration et je dis la première chose qui me passe par la tête :
« Tu veux que je te ramène chez toi ? Ma voiture est juste là. »
Je désigne du menton la Lexus gris métallisé garée le long du trottoir d’en face. Elle semble surprise et, tandis qu’elle relève les yeux de son téléphone pour me scruter, je réalise que mon approche est probablement déplacée et n’a rien de rassurant pour une femme seule.
« Non merci, c’est gentil, me répond-elle simplement, son étonnement très vite dépassé et sans sembler me trouver bizarre ou inquiétant outre mesure, mais je ne rentre pas chez moi tout de suite. Il faut que j’aille chercher les enfants, je profite du fait qu’ils ont un rendez-vous le mercredi matin pour pouvoir aller à l’aquabike. Les autres jours c’est plus facile, ils ont école. »
Merde, elle a des gosses ! Je n’avais pas prévu ça. Mais bon Dieu, elle est crevée, personne ne peut l’aider avec ça ?
« Ton mari ne peut pas aller les chercher ? »
Mais quel con mais quel con mais quel con ! Je lis dans son regard qu’elle pense à peu près la même chose. Pourquoi est-ce que j’ai demandé un truc pareil, moi ? Elle semble sur le point de me dire quelque chose de désagréable, probablement que je devrais me mêler de mes oignons, mais son expression se radoucit finalement et elle hausse les épaules.
« Il n’y a pas de mari. Il y avait bien un père, mais il est parti juste après la naissance du deuxième. »
Je reste pantois quelques secondes, désarçonné par sa simplicité et sa franchise. Finalement, je demande, tentant d’avoir simplement l’air de faire la conversation de façon très banale :
« C’est loin, leur rendez-vous ?
— Un peu, pas trop. J’en ai pour un quart d’heure à pied, mais ça me fait du bien de marcher.
— Si tu veux, je te conduis là-bas et je vous ramène chez toi avec les gamins. »
Mais bien sûr. Dans le genre prédateur sexuel qui cherche absolument à faire monter une nana dans sa voiture, je me pose là. Je lis une pointe d’inquiétude dans son regard ; peut-être pas de l’inquiétude, mais tout au moins de la perplexité.
« Merci, mais ça va aller. Et puis, on ne se connaît pas. »
Elle est légèrement sur la défensive à présent. Bravo Adrien, c’est du grand art.
« Je ne veux pas t’embarrasser, c’est juste que tu as l’air fatiguée. »
Mais c’est qu’il insiste en plus, le bougre. Pourquoi est-ce que je ne me tais pas ? Ou pourquoi est-ce que je ne l’invite pas tout simplement à boire un verre, comme je le ferais avec n’importe qui d’autre ?
« Je sais, mais je… J’ai pas l’habitude de monter en voiture avec des étrangers. Encore moins avec mes enfants. »
Le qualificatif me fait plus mal qu’il ne devrait. Il est parfaitement fondé, après tout. Mais j’avais espéré… Qu’avais-je espéré, au juste ? Je ne lui ai pas adressé un mot pendant deux mois et voilà que j’insiste pour la faire monter dans ma bagnole ?
« Ecoute, tu n’as qu’à essayer une fois ! Si je vous dépose chez vous sans vous avoir violés, ça voudra dire que je suis digne de confiance. »
Merde, Adrien ! Combien de fois tes potes ne t’ont-ils pas répété que ton humour douteux n’amusait que toi ? Tu viens de t’enterrer tout seul, mon pauvre. Contre toute attente cependant, Clémence éclate de rire et fait un pas incertain vers ma voiture.
« Excuse-moi, bredouillé-je, totalement sidéré de m’entendre parler de la sorte, je ne voulais pas…
— Si c’était vraiment ton intention, tu n’exposerais pas tes plans aussi ouvertement. »
Elle rit toujours et esquisse un autre pas vers le trottoir d’en face. Je l’observe et je me rends compte qu’elle a vraiment l’air épuisée. Nous faisons tous deux les quelques pas qui nous séparent du véhicule et je déverrouille les portières. Debout côté passager, elle me jette un regard hésitant, comme si elle se demandait brusquement ce qui lui a pris de s’avancer jusque-là. Je lis clairement sur son visage qu’elle est déchirée entre l’envie de s’économiser un trajet d’un quart d’heures à pied et la peur d’être sur le point de faire quelque chose d’inconscient, et les mots franchissent mes lèvres avant que je ne l’aie vraiment décidé.
« Si ça peut te rassurer, je suis marié et papa de deux enfants, je n’ai donc pas trop envie d’en kidnapper d’autres. »
Elle me sourit, son visage se détend et elle ouvre la portière pour s’installer dans la voiture. Je devrais peut-être lui expliquer qu’une bonne partie des tueurs en série et des prédateurs sexuels célèbres avaient une famille tout ce qu’il y a de plus rangée et ordinaire, mais je suis trop sidéré par ce que je viens d’oser pour avoir la force d’être cynique.
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