Je veux le, la, saisir à l'instant précis où... Piste d'écriture
Cette piste d'écriture est inspirée de : L’instant précis où Monet entre dans l’atelier, de Jean-Philippe Toussaint, Les éditions de Minuit, mars 2022. En voici les premières lignes:
Je veux saisir Monet là, à cet instant précis où il pousse la porte de l’atelier dans le jour naissant encore gris. C’est le moment du jour que je préfère, c’est l’heure bénie où l’œuvre nous attend. L’aube est fraîche, l’air vif picote les joues. Il est un peu plus de six heures et demie du matin, pas un bruit au loin dans la maison endormie qu’on vient de quitter, quelques pépiements d’oiseaux dans le jardin où les arbres sont immobiles comme le silence. C’est un de ces matins du monde comme il y en a tous les jours en Normandie dans les villages que bordent l’Eure et la Seine. Nous sommes à l’été 1916. Depuis quelques mois, Monet a pris possession du grand atelier qu’il s’est fait construire en haut de son jardin pour pouvoir travailler sur les vastes formats des panneaux des Nymphéas.
En 30 pages, ce délicieux petit livre nous fait partager le quotidien du peintre impressionniste Claude Monet, nous entraine dans son aventure artistique, nous rappelle le contexte de guerre, et suspend le temps. Dans ces premières lignes, l’auteur nous rend Monet présent, pas immédiatement comme peintre, mais comme homme. Il nous fait partager les sensations qui étaient peut-être été les siennes lorsqu’il se levait à l’aube, pour vaquer à son œuvre. C’est un moment auquel nous sommes conviés : « la maison endormie qu’on vient de quitter ». Les autres dorment, mais pas « on » - pas nous. Une autre expression nous rend cet instant accessible, pour peu que nous le désirions : « C’est un de ces matins du monde comme il y en a tous les jours en Normandie ». Il s’agit à la fois d’un instant précieux, et courant, banal, aube fraiche, grise, pépiements d’oiseaux. Ce « matin du monde », nous pouvons nous aussi le faire naître dans notre mémoire. Sinon que tout de suite après, l’auteur resserre le cadre, en nous donnant des précisions géographiques et temporelles. Puis, viennent les précisions biographiques.
Ce n’est donc pas tout à fait un moment universel, nous dit-il. Mais c’est trop tard. Pour le lecteur sensible à la magie des aubes, cet instant lui appartient aussi, désormais. De même, peut-être, que le projet de l’auteur de « saisir », au présent, dans ce présent d’éternité, ce qui fut et continue de vivre, dans une mémoire vive. La sienne, la nôtre.
Je vous invite à « saisir » à votre tour. Personnes proches ou personnages dont le destin vous interpelle. Il peut même s’agir de vous-même, un vous-même que vous pouvez observer de loin, dont vous pouvez vous désolidariser. L’important n’est pas de tout savoir de votre sujet, mais de vous focaliser sur un instant, une occupation, symboliques de ce que vous voulez montrer de lui (ou de votre relation). Dans quelle posture allez-vous installer votre sujet ? Dans quelle intention se trouve-t-il ? Cette posture, cette intention, évolueront-elles à mesure des « Je veux saisir » dont vous ponctuerez votre texte ? Au lieu de « je veux saisir », vous pouvez écrire « je veux attraper », ou bien « arrêter », « figer », « rattraper »…
Prenez votre temps. Faites-nous déguster ce moment, avant de préciser qui est ce personnage pour vous, quel rapport vous avez avec lui, et à quel moment de sa vie il se trouve. Utilisez le présent, écrivez comme si nous y étions. D’ailleurs, nous y sommes. A vous : Je veux saisir X là, à cet instant précis où…
Claude Monet est né en 1840 et mort en 1926. Grâce à cette opération, il pourra poursuivre son œuvre. Les Nymphéas seront installés en 1927 dans les deux salles ovales de l’Orangerie qui leur sont dédiées. Au cours du texte que lui dédie J.P. Toussaint, il y aura plusieurs Je veux saisir Monet là, à cet instant précis où… A chaque fois le peintre passe une sorte de frontière, d’année en année – jusqu’à celui, bouleversant, où en 1922, il pénètre à nouveau dans son atelier après son opération de la cataracte.
Pour en savoir plus sur le livre, Les éditions de Minuit.
