Cambriolage ! par Christiane Koberich

Piste d'écriture: imaginer par l'écoute, sans voir.

    La nuit est tombée. L’obscurité a gagné du terrain. La lune est pâle, le ciel nuageux. Quelques faibles rayons de lumière s’infiltrent à travers certaines branches. Allongée sous le pommier de son jardin Estelle, enfin libre, savoure l’agréable fraîcheur et la tranquillité de cet instant. Fatiguée par cette semaine aux urgences de l’hôpital, elle apprécie la solitude de ces deux jours sans ses enfants, partis bivouaquer avec leur père. « A la conquête de l’Himalaya » lui ont-ils crié en partant... Enfin, pour commencer ce sera le Pic Saint Loup ! pense-t-elle, et elle sourit devant tant d’enthousiasme de leur part.
Elle commence à se détendre et à somnoler lorsque soudain des voix, des pas… Les voisins ? Non. Elle ne les reconnaît pas. Inquiète, elle tend l’oreille. Des mots lui parviennent, chuchotés.
« Arrête, tu fais trop de bruit.
- Pas ma faute, des feuilles sèches qui craquent. »
Des voix assez jeunes, lui semble-t-il. Estelle perçoit un peu d’énervement dans cet échange… Des cambrioleurs ? En tout cas Pascale et Jean n’attendaient pas de visite ; ils l’auraient prévenue.
« Dis, Léo, t’es sûr qu’il n’y a personne ?
- Puisque j’te l’dis !
- Et comment tu l’sais ?
- Pas le moment de t’expliquer, je l’sais c’est tout. J’ai enquêté. »

Estelle est de plus en plus tendue. La haie qui la sépare de ses voisins est dense, mais elle craint que ces cambrioleurs ne devinent sa forme couchée dans le jardin, puis s’approchent et la découvrent… Car, elle s’en persuade, il s’agit de cambrioleurs… Sinon, qui d’autre ? Elle tremble. Il fait plus frais maintenant, elle aurait besoin d’un vêtement. Pourvu qu’elle n’éternue pas !
« Hé, Léo ! Tu crois pas qu’on devrait partir ? Je le sens pas, ce coup. »
Visiblement, la peur le gagne. Il n’est pas sûr de lui.
« Quelle poule mouillée tu fais ! Mais qu’est-ce qui m’a pris de t’embarquer là-dedans ? Tu changeras jamais, Seb.
- Poule mouillée, poule mouillée ! T’étais quand même bien content de me trouver, non ?

Léo. Seb… Que viennent-ils voler, se demande Estelle. C’est une forteresse, chez les voisins. Leur maison est ultra-sécurisée... Surtout pour des petits cambrioleurs amateurs, comme elle le pressent… Elle serait mieux dans sa maison, à l’abri. Mais, dangereux de se lever maintenant. Trop tard. Obligée d’assister malgré elle.
A droite et à gauche de chez Pascale et Jean, deux autres voisins. Mais aucune aide à attendre de leur part ; ils ne doivent même pas entendre les voleurs : la nuit ils « enlèvent leurs oreilles », comme ils disent, et même la musique très forte de certains jeunes du quartier ne les dérange pas.

Après un moment de silence, Estelle les entend cogner dans quelque chose. La poubelle ? Un jouet du petit ? Le nommé Léo s’énerve.
« Fais gaffe, tu vas réveiller les voisins !
Seb, le plus inquiet des deux, semble-t-il, continue :
- Et cette lumière, là-bas. Je crois qu’on est filmés. Tu m’avais pas dit ! Il y a une caméra !
- Dit quoi, abruti ? C’est dans ta tête, la caméra. Et baisse-toi, tu s’ras pas filmé.
- Ouais ! A t’entendre c’est tout simple. Tu parles ! »

Que faire ? Estelle se sent impuissante, là, prisonnière dans son propre jardin ! Impossible de téléphoner à la police.
« Tais-toi j’te dis, c’est l’occasion rêvée. Ils sont partis pour deux jours, et tu vois bien qu’il n’y a personne chez les voisins, tout est éteint. »
Ouf ! Estelle se rassure : ils ne l’ont pas remarquée. Mais, a-t-elle bien mis son portable sur silencieux ? Elle ne sait plus. Et comment vérifier ? Il est au fond de sa poche, et elle n’ose pas faire le moindre mouvement.
La voix de Seb tremble : « Et cette moto ? T’es sûr qu’elle est dans le garage ? Et tu vas pouvoir la démarrer ? »

Ah, c’est donc ça leur but ! La Harley ! Estelle comprend que Seb est terrifié, sur le point de craquer. Ce n’est pas un voleur aguerri ; peut-être la première fois qu’il se lance dans une telle aventure.
« Mais dégage, si t’es pas cap ! Je peux me passer de toi. De toute façon, tu me sers à rien... »
Ils ont peur tous les deux, se dit Estelle. Pourvu qu’ils ne soient pas armés ! Apeurés et armés, ils pourraient faire n’importe quoi !
« Bon. (Voix plus ferme de Léo. C’est lui le meneur.) Il faut passer par la cuisine, sur l’arrière. Et de là, dans le garage. On trouvera forcément les clés. »
Estelle retient de justesse un cri de joie. Oui c’est ça, la cuisine !

Les deux jeunes s’éloignent. Elle est hors de leur vue et ne les entend plus. Elle se glisse, à quatre pattes et silencieusement, jusqu’à la porte de chez elle, rentre et la referme à clé. Sauvée !… Vite, la police…
Et là, elle entend un répondeur qui lui demande de patienter. Elle essaie de respirer profondément, de se calmer. Elle est hors de danger maintenant. Des minutes et des minutes passent… Puis enfin un interlocuteur. Elle explique, des cambrioleurs, la moto… « Oui madame, je vous envoie une équipe dès que je peux. Pour le moment je n’ai personne : ils sont tous occupés, il y a eu un meurtre…
Estelle raccroche. Au même instant, de la fenêtre elle voit partir les deux cambrioleurs sur leurs trottinettes électriques. Cambriolage raté !
Demain, elle racontera tout cela à ses voisins. Avec un peu de chance, leur caméra permettra d’identifier ces deux pieds-nickelés !

Christiane Koberich

Photo de Gabriel sur Unsplash

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