Se tailler d'ici, par Roselyne Crohin

Piste d'écriture : A partir de la nouvelle « Se tailler, disait-il » de Benoît Fourchard, écrire des dialogues sous diférents styles, en s'inspirant ou non du thème de la nouvelle. 

-      Un jour je me taillerai d'ici.

Dans la salle des profs du collège Simone Weil, on n'y faisait plus attention. Sonia, régulièrement, débarquait en trombe, l'air furieux, après ses cours aux 4ème ou aux 5ème. Quelques profs commentaient tranquillement leur matinée autour de la machine à café tandis que la plupart consultaient nerveusement leur messagerie ou leurs news sur leur smartphone. Mais ce matin-là, Sonia semblait encore plus remontée que jamais.

-      Ces gosses, ils m'exaspèrent ! Comment vous faites pour les supporter ? lança-t-elle à la cantonade.

-      Allez Sonia, on t'offre un café. Détends-toi un peu, l'invita Henri, le toujours flegmatique prof d'anglais, en lui tendant le gobelet qu'il venait de retirer de la machine.

-      Trop gentil de ta part, Henri, mais je suis tellement sur les nerfs que je ne crois pas qu'un café me fasse du bien.

-      Un témesta, alors, renchérit Valentin, le prof de maths se croyant malin une fois de plus.

Alexandra et Henri lui lancèrent alors un regard chargé de reproches, on ne blague pas aux dépens d'une collègue en difficulté, il faut se serrer les coudes car c'est pas l’Education nationale qui va nous aider, au contraire. Chacun y allait de ses griefs et de ses conseils tandis que la pauvre Sonia, toute étourdie par ce déluge verbal préféra se mettre un peu à l'écart et s'asseoir à un coin de table. Henri la rejoignit.

-      Ça fait un moment qu'on te voit sur les nerfs. Il s'est passé quelque chose ?

-      Ben, c'est une accumulation, je crois. Je dors mal, j'arrive fatiguée en classe, les gosses s'en aperçoivent et ils en profitent. C'est le cercle vicieux !

-      Je vois. Je les connais aussi tes élèves. Il y en a que j'ai eus l'an dernier et d'autres que j'ai cette année.

Henri enchaîna en parlant d'untel qu'il ne fallait surtout pas aborder frontalement, sinon, c'était encore pire et surtout avec son ascendant sur le reste de la classe il pouvait avoir un grand pouvoir de nuisance. Sonia l'écoutait mais de plus en plus distraitement. Les conseils d'Henri valaient pour lui, mais pas pour elle. Ils ne correspondaient ni à sa manière d'être ni à ses convictions personnelles. D'ailleurs, en écoutant les conseils des uns et des autres, elle avait essayé toutes sortes de méthodes et aucune n'avait semblé marcher.

-      Tu es sympa, Henri, je te remercie de ton attention, mais là je ne t'écoute plus car je suis tout simplement à bout.

-      Je te comprends. Tu devrais sans doute t'arrêter une semaine ou deux, prendre un congé de maladie...

-      Je crois que je vais m'arrêter quelque temps, oui. Si on ne me voit plus au collège, tu sauras pourquoi, dit-elle en rassemblant ses affaires et en quittant la salle des profs.

 

Il faut que je me taille. Il faut que je prenne le large sinon je ne réponds de rien, se répétait-elle en se cramponnant au volant de sa voiture. Sonia était professeur de français dans une petite bourgade de l'Ouest de la France. Elle avait un compagnon, Didier, charmant, tendre, attentif, qui prenait en charge une grande part des tâches matérielles à la maison. Elle n'avait pas à se plaindre, bien au contraire si elle se comparait à la plupart de ses copines. Ses deux enfants, Justine et Léon, poussaient normalement et ne posaient pas de problème particulier. Sonia, apparemment, avait tout pour être heureuse, mais elle étouffait dans sa vie. Pourquoi ? Elle n'aurait pas su le dire. Ou bien si, peut-être...  Elle n'était pas faite pour mener une petite vie régulière, bien ordonnée. A la fac, elle avait rêvé de devenir écrivaine. Elle avait d'ailleurs publié quelques nouvelles et remporté des concours... Mais depuis qu'elle était mère de famille et prof de français dans ce petit collège périurbain, elle n'avait plus rien écrit.

 

Ce jour-là, elle était rentrée à la maison sans assurer ses deux derniers cours de la journée. Elle avait téléphoné au collège pour dire qu'elle serait absente car elle ne se sentait pas bien. C'était la deuxième fois qu'elle n'assurait pas ses cours depuis sa prise de poste au collège Simone Weil. L'autre fois, elle avait manqué à cause d'une grippe carabinée qui l'avait clouée au lit près d'une semaine avec une forte fièvre.

Didier qui arriva avec les enfants vers cinq heures et demie la trouva recroquevillée dans le canapé, de façon inhabituelle. Il s'en alarma tout de suite.

-      Tu es malade, Sonia ? Qu'est-ce que tu as ?

-      Un coup de mou. Les 4ème m'ont fait craquer ce matin. J'ai prévenu le collège que je serai absente et...

S'étant assurée que les enfants avaient filé à la cuisine pour prendre leur goûter, elle fondit en larmes. Didier s'approcha et la prit dans ses bras.

-      Ma chérie, il faut te faire arrêter quelque temps. C'est indispensable. Tu as appelé ton médecin ?

-      Pas encore, mais je vais le faire, dit-elle en retrouvant un peu ses esprits.

Elle se força à faire bonne figure et tous deux allèrent rejoindre les enfants dans la cuisine pour écouter leurs petites histoires du jour.  Puis elle passa le reste de la soirée à se reposer dans sa chambre tandis que Damien préparait le repas et surveillait les devoirs de Justine. Pour les enfants, elle était en train de préparer ses cours du lendemain, comme d'habitude.

 

Une fois les enfants couchés, Sonia confia à Didier qu'elle avait besoin de prendre du recul, qu'il lui fallait faire le point sur sa vie, en résumé, qu'elle devrait partir quelque temps de la maison. Didier l'avait écoutée, disait qu'il comprenait, mais que ce n'était pas le moment avec les enfants encore petits. Comment le prendraient-ils ? Elle avait répété qu'elle l'aimait infiniment, qu'elle adorait ses enfants, mais que son besoin de liberté était encore plus fort, qu'elle lui reviendrait meilleure, plus aimante, plus maternelle.

-      Promets-moi de ne pas le faire, Sonia.

 

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