Les amoureux qui s'bécotent sur les bancs publics... par Jean-Marc Occhuizzo

Texte écrit lors du stage Personnages du 24 mars 2024 et inspiré par la photo de Sabine Weiss ci-contre.

La lumière blanche fuse au-dessus du mont Saint Clair. Neptune, drapé du pavillon bleu, protège ce samedi après-midi de mai parfait. Aucune manifestation rebelle ne perturbe Sète, d’ailleurs Éole reste à l’abri dans les couloirs et les massifs escarpés, où la terre est teintée d’ocre. Ici, les amoureux se bécotent sur les bancs publics, insouciants et candides, « C’est Georges qui l’a dit », déclare Julie, à haute voix généreuse.

Vers 14 heures, elle a crocheté et bien ancré à son bras son Sauveur, son vieux loup de mer. Celui-ci est courbé, posture inhérente aux dures campagnes maritimes de jadis. Chez les Marielli, il y a du carburant dans les cannes, ça tambourine, ça toucke-toucke dans le cœur comme une barque qui barboterait seule au milieu du bassin de Thau. Mais ça a de la résistance ! Le couple a enterré leur dernier serviteur d’Hippocrate et un notaire trop fragile du bulot. Eux sont toujours vaillants. Ils se posent sur un banc libre, épaule contre épaule, des inséparables faussement en vacances. Pour une fois, le monde attendra bien un moment. Maintenant sous les platanes séculaires, ils sont à leur aise face à la jeunesse insolente, un brin vulgaire d’après Sauveur, songeur. Son œil directeur perfore un jeune couple actif et joyeux, lequel a jeté à l'unisson leur filet d’ennuis au fond du canal du Midi, mais pour Sauveur ce sont réminiscences soudaines et miroir grêlé.

« Pas du tout, ils sont adorables ces jeunots », réplique Julie, prête à pincer l’antique. Sauveur hausse les épaules, bougon. Elle lui file un gentil petit coup de coude dans les côtelettes. « Si tu voyais ta tête ? » Et elle part d’un rire aux éclats, sans complexe devant les gens qui déambulent sur l'esplanade.

« Y sont pas pudiques du tout, surtout elle dans cette position olé olé » grogne-t-il, pour clore la conversation pour de bon. Un poil envieux quand même quand il observe le jeune homme qui ne cesse de sourire gaminement. 

« De toute façon Sauveur, qu’est-ce que t’as à chanter olé olé, t’aimes pas la corrida ! Eux n’ont pas à se cacher comme nous autres autrefois, quand ma mère nous fliquait, déguisée en je ne sais plus quoi. Tu t’en souviens ? Au moins, ces deux-là affichent le bonheur à deux. »

Sauveur reprend la main. « Je l’avais oublié, ta mère sergent-chef, un sacré numéro de première celle-là, paix à son âme. » Julie flingue le ciel, un éclair entre deux mouettes espiègles, tandis que lui plonge de nouveau dans son fiel : « Mais, tu m’enlèveras pas de l’idée que c’est une allumeuse, la coquine, la jupette relevée, les cheveux défaits, la bouche en cul de poule ! »

Qui, ma mère ? 

Mais non, la fille en face sur le banc, la brunette, regarde-moi ça, ils se roulent des pelles devant tout le monde, c’est pas la crise du bâtiment pour eux !

 Quel humour que tu nous sors -là ! on est sauvé avec toi, mon chérinou. Depuis quand, une fille qui embrasse un garçon, c’est pas bien ? Y s’aiment ces deux-là, ça crève les yeux, c’est pas beau ça ? T’as oublié ce qu’était l’amour, le vrai, la passion, les papillons dans le ventre comme dit ta petite fille, Lola ?

Ouais, mais pas devant tout le monde, pas en public sur un banc, en plus y nous calculent même pas. Et le garçon, la honte pour lui. Maintenant, y doit avoir le mât en éveil, la voile gonflée, peuchère le pauvre, et devant tout le monde qui regarde ce spectacle de rue.

Sauveur, où est passé ton romantisme des soirées jazz de l’époque, au Théâtre de la mer. Moi, je vois le sel de la vie dans les yeux de ces tourtereaux. Je te parle de Roméo et Juliette et toi, tu me réponds les vieux films X de René Chateau.

Bon, je veux bien, t’as raison, alors s’ils s’aiment vraiment. Qu’ils s’affichent au grand jour, même impudiques, sur les bancs publics. C’est Georges qui l’a dit aussi, puis c’est mieux de voir ça, que de faire la guerre à la terre entière et s’emmouscailler l’esprit avec les infos en boucle. »

Neptune doit être d’accord avec cette sentence, il continue de protéger, de son drapeau bleu, cet après-midi parfait. Quant à Éole, il souffle une petite brise qui fait frissonner les longs cheveux de l’amoureuse, et chatouille le beau rire généreux de Julie. Sauveur se surprend à sourire à son tour. On n’est pas bien, là ?

 

 

 

 

 

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