Jour de fête, par Bernard Delzons

 

 

Un extrait de « Le pas de la Demi-Lune" de David Bosc » racontant une fête improvisée m’a rappelé la joie des enfants d’un village du Mali à l’arrivée de la pluie… et quelques autres souvenirs.

 

Nous avions passé la frontière entre l’Algérie et le Mali deux jours plutôt. Avec un ami avec qui j’avais enseigné dans une école d’agriculture proche de la ville de Skikda, nous avions décidé de traverser le Sahara pour aller jusqu’à Tombouctou. Nous avions trouvé un camion qui avait bien voulu nous prendre moyennant quelques dinars pour nous conduire d’Adrar, là où les routes s’arrêtaient, jusqu’à Gao, là où coule le fleuve Niger. Nous en étions encore fort loin, même si notre chauffeur ne prenait que quelques heures pour se reposer. Il avait un employé qui préparait les repas à base de viande et tomates séchées, accompagnés de riz ou de pâtes.

 

Lors du précédent arrêt, nous avions dû nous installer sur les sacs de dattes que nous transportions, car à cet endroit précis, il y avait des scorpions et il n’était pas question de s’allonger sur le sol comme nous l’avions fait les jours précédents.  Nous venions de nous arrêter dans ce village Malien où nous resterions quelques heures. Nous avions autour de nous tous les enfants qui avaient tapé dans leurs mains en nous voyant descendre du camion. S’ils étaient habitués à voir ces camionneurs traverser leur village, ils l’étaient beaucoup moins à voir de jeunes Européens.

Il régnait déjà une atmosphère de fête comme si notre présence insolite méritait d’être célébrée.

Le graisseur, c’était le nom donné à l’employé, car en plus de la cuisine, il assurait l’entretien du camion, le graisseur donc avait allumé un feu pour préparer ces galettes qui nous servaient de pain. Nous le regardions faire quand nous avons senti quelques gouttes. Aussitôt, les enfants avaient commencé à crier, puis à chanter et enfin à danser. Ils étaient vêtus de simples shorts, on distinguait les garçons et les filles à leur chevelure, courte pour les garçons, avec des petites nattes pour les fillettes.

Un instant, je pensai à ce film américain « Dansons sous la pluie ».

 

Les hommes adultes étaient sortis de leur maison et tous regardaient cette pluie tomber.

J’imaginai les jeunes Parisiens qui auraient pesté de constater que ce serait encore une journée sans soleil et je repensais à la joie que me procuraient les premiers flocons blanchissant le jardin de mon enfance.

Ici, même si on n'était plus tout à fait dans le désert, la pluie était si rare que lorsqu’elle arrivait, il fallait la célébrer. Des hommes avaient sorti leur tambourin. Ils s’étaient assis autour d’une sorte d’acacia maigrichon, ils commencèrent à jouer, ils accompagnaient une voix féminine qui chantait des louanges à Dieu pour le remercier d’avoir envoyé cette pluie miraculeuse.

Notre chauffeur avait acheté une petite chèvre, car nous étions à court de victuailles.  C’est le doyen du village qui la sacrifia en guise de reconnaissance, sous les applaudissements des enfants et les chants des femmes cachées dans leur maison. J’étais fasciné par ce spectacle, ému, mais conscient que je ne penserais pas à l’abattoir en mangeant une entrecôte !

 

Je me remémorai alors une autre fête donnée à l’occasion de la remise des diplômes dans cette école du nord de l’Algérie où j’avais enseigné pendant presque dix-huit mois. Les élèves étaient rassemblés devant l’estrade, à l’arrière, il y avait les parents d’élèves, je devrais dire les pères, aucune femme n’était présente ; et juste derrière il y avait nous les professeurs. À chaque nomination, il y avait des applaudissements et l’on pouvait observer dans les yeux des jeunes la joie d’avoir réussi et dans ceux de leur père la fierté de la réussite de leur rejeton. Nous avons eu droit pour célébrer l’événement à une sorte de cocktail avec des jus de fruits et un gâteau offert par le pâtissier de l’école. C’était une sorte de roulé avec de la crème au beurre. Il avait fallu absorber stoïquement cette chose horrible tant le beurre était rance, sans jamais manifester le moindre dégoût ! Il est vrai que conserver du beurre avec cette chaleur de début juin était un chalenge presque impossible.

 

  Nous avions regagné la cabine du camion, prêts à continuer notre aventure. Les enfants nous faisaient de grands signes. Le chauffeur nous annonça que nous transporterions le marabout du village. Le pauvre malheureux ne savait ce qu’il devait faire, implorer Dieu que la pluie continue pour assurer les récoltes à venir ou au contraire, qu’elle cesse afin que le camion ne s’enlise pas et qu’il puisse arriver à destination le plus vite possible.

Mon ami me dit en aparté qu’il boirait bien un whisky. Je haussai les épaules tant c’était incongru en ce lieu perdu, loin de tout.

Je repensai, alors, à une fête que nous avions fait avec des amis en Espagne où je suivais des cours d’espagnol dans une école internationale. À la suite d’un pari idiot, j’avais acheté un des trois petits cochons, sans doute celui qui vivait dans la maison faite de paille, et nous avions décidé de le baptiser le soir même. La sangria aidant, nous lui avons donné le nom de notre continent, « Europe », et chacun dans sa langue nous avions entamé « ce n’est qu’un au revoir mes frères… » Alors une jeune Anglaise m’avait entrainé sur une table où nous avons improvisé un flamenco pas très catholique…

 

La pluie avait rendu le sol boueux, le camion avançait difficilement, il fallait descendre placer des tôles sous les roues pour le sortir de l’ornière, repartir et recommencer quelques mètres plus loin. Nous aurions dû mettre six jours pour faire la traversée, il en a fallu treize, les provisions se raréfiaient, l’eau manquait, et pour ne pas mourir de soif, je me rappelle avoir bu de l’eau boueuse à même le sol. Enfin, nous sommes arrivés à destination. Nous avions appris à nous connaître avec le chauffeur et je suis sûr qu’il nous appréciait, mais il était pressé de se débarrasser de nous. Avec ce rallongement de la traversée, il y avait bien longtemps qu’il avait dépensé tout l’argent que nous lui avions donné pour nous transporter et nous nourrir. Son graisseur fut plus chaleureux et nous embrassa fraternellement.

Nous avons aussitôt cherché un hôtel, pour rattraper le retard de sommeil, et enfin nous laver. Nous n’avons pas eu le choix, il y en avait un et un seul ! Après, il faudrait trouver un autre camion pour nous conduire à Tombouctou, mais c’est une autre histoire…

 

Le retour vers Skikda se passa normalement. À mi-chemin, nous fîmes une escale à Ghardaïa, ville où nous nous sommes décrassés dans un hammam ! Le chauffeur du retour était peu disert, mais serviable. Après une opération de désensablage en pleine chaleur de la mi-journée, il nous avait fait absorber des biscuits bien bourratifs avant de boire, en nous expliquant qu’ils serviraient d’éponge dans notre estomac, ce qui permettrait de garder plus longtemps le bénéfice de la boisson.

À notre arrivée dans notre école, les copains ont eu du mal à nous reconnaître tant nous avions changé, les cheveux avaient poussé et les visages avaient bruni, la peau s’était durcie et presque craquelée au contact de l’air et du soleil… Mais le soir de notre retour, les amis nous ont offert une fête de retrouvailles mémorable !     

20240221– Jour de Fête

 

 

 

Un extrait de « Le pas de la Demi-Lune de David Bosc » racontant une fête improvisée m’a rappelé la joie des enfants d’un village du Mali à l’arrivée de la pluie… et quelques autres souvenirs.

 

Nous avions passé la frontière entre l’Algérie et le Mali deux jours plutôt. Avec un ami avec qui j’avais enseigné dans une école d’agriculture proche de la ville de Skikda, nous avions décidé de traverser le Sahara pour aller jusqu’à Tombouctou. Nous avions trouvé un camion qui avait bien voulu nous prendre moyennant quelques dinars pour nous conduire d’Adrar, là où les routes s’arrêtaient, jusqu’à Gao, là où coule le fleuve Niger. Nous en étions encore fort loin, même si notre chauffeur ne prenait que quelques heures pour se reposer. Il avait un employé qui préparait les repas à base de viande et tomates séchées, accompagnés de riz ou de pâtes.

 

Lors du précédent arrêt, nous avions dû nous installer sur les sacs de dattes que nous transportions, car à cet endroit précis, il y avait des scorpions et il n’était pas question de s’allonger sur le sol comme nous l’avions fait les jours précédents.  Nous venions de nous arrêter dans ce village Malien où nous resterions quelques heures. Nous avions autour de nous tous les enfants qui avaient tapé dans leurs mains en nous voyant descendre du camion. S’ils étaient habitués à voir ces camionneurs traverser leur village, ils l’étaient beaucoup moins à voir de jeunes Européens.

Il régnait déjà une atmosphère de fête comme si notre présence insolite méritait d’être célébrée.

Le graisseur, c’était le nom donné à l’employé, car en plus de la cuisine, il assurait l’entretien du camion, le graisseur donc avait allumé un feu pour préparer ces galettes qui nous servaient de pain. Nous le regardions faire quand nous avons senti quelques gouttes. Aussitôt, les enfants avaient commencé à crier, puis à chanter et enfin à danser. Ils étaient vêtus de simples shorts, on distinguait les garçons et les filles à leur chevelure, courte pour les garçons, avec des petites nattes pour les fillettes.

Un instant, je pensai à ce film américain « Dansons sous la pluie ».

 

Les hommes adultes étaient sortis de leur maison et tous regardaient cette pluie tomber.

J’imaginai les jeunes Parisiens qui auraient pesté de constater que ce serait encore une journée sans soleil et je repensais à la joie que me procuraient les premiers flocons blanchissant le jardin de mon enfance.

Ici, même si on n'était plus tout à fait dans le désert, la pluie était si rare que lorsqu’elle arrivait, il fallait la célébrer. Des hommes avaient sorti leur tambourin. Ils s’étaient assis autour d’une sorte d’acacia maigrichon, ils commencèrent à jouer, ils accompagnaient une voix féminine qui chantait des louanges à Dieu pour le remercier d’avoir envoyé cette pluie miraculeuse.

Notre chauffeur avait acheté une petite chèvre, car nous étions à court de victuailles.  C’est le doyen du village qui la sacrifia en guise de reconnaissance, sous les applaudissements des enfants et les chants des femmes cachées dans leur maison. J’étais fasciné par ce spectacle, ému, mais conscient que je ne penserais pas à l’abattoir en mangeant une entrecôte !

 

Je me remémorai alors une autre fête donnée à l’occasion de la remise des diplômes dans cette école du nord de l’Algérie où j’avais enseigné pendant presque dix-huit mois. Les élèves étaient rassemblés devant l’estrade, à l’arrière, il y avait les parents d’élèves, je devrais dire les pères, aucune femme n’était présente ; et juste derrière il y avait nous les professeurs. À chaque nomination, il y avait des applaudissements et l’on pouvait observer dans les yeux des jeunes la joie d’avoir réussi et dans ceux de leur père la fierté de la réussite de leur rejeton. Nous avons eu droit pour célébrer l’événement à une sorte de cocktail avec des jus de fruits et un gâteau offert par le pâtissier de l’école. C’était une sorte de roulé avec de la crème au beurre. Il avait fallu absorber stoïquement cette chose horrible tant le beurre était rance, sans jamais manifester le moindre dégoût ! Il est vrai que conserver du beurre avec cette chaleur de début juin était un chalenge presque impossible.

 

  Nous avions regagné la cabine du camion, prêts à continuer notre aventure. Les enfants nous faisaient de grands signes. Le chauffeur nous annonça que nous transporterions le marabout du village. Le pauvre malheureux ne savait ce qu’il devait faire, implorer Dieu que la pluie continue pour assurer les récoltes à venir ou au contraire, qu’elle cesse afin que le camion ne s’enlise pas et qu’il puisse arriver à destination le plus vite possible.

Mon ami me dit en aparté qu’il boirait bien un whisky. Je haussai les épaules tant c’était incongru en ce lieu perdu, loin de tout.

Je repensai, alors, à une fête que nous avions fait avec des amis en Espagne où je suivais des cours d’espagnol dans une école internationale. À la suite d’un pari idiot, j’avais acheté un des trois petits cochons, sans doute celui qui vivait dans la maison faite de paille, et nous avions décidé de le baptiser le soir même. La sangria aidant, nous lui avons donné le nom de notre continent, « Europe », et chacun dans sa langue nous avions entamé « ce n’est qu’un au revoir mes frères… » Alors une jeune Anglaise m’avait entrainé sur une table où nous avons improvisé un flamenco pas très catholique…

 

La pluie avait rendu le sol boueux, le camion avançait difficilement, il fallait descendre placer des tôles sous les roues pour le sortir de l’ornière, repartir et recommencer quelques mètres plus loin. Nous aurions dû mettre six jours pour faire la traversée, il en a fallu treize, les provisions se raréfiaient, l’eau manquait, et pour ne pas mourir de soif, je me rappelle avoir bu de l’eau boueuse à même le sol. Enfin, nous sommes arrivés à destination. Nous avions appris à nous connaître avec le chauffeur et je suis sûr qu’il nous appréciait, mais il était pressé de se débarrasser de nous. Avec ce rallongement de la traversée, il y avait bien longtemps qu’il avait dépensé tout l’argent que nous lui avions donné pour nous transporter et nous nourrir. Son graisseur fut plus chaleureux et nous embrassa fraternellement.

Nous avons aussitôt cherché un hôtel, pour rattraper le retard de sommeil, et enfin nous laver. Nous n’avons pas eu le choix, il y en avait un et un seul ! Après, il faudrait trouver un autre camion pour nous conduire à Tombouctou, mais c’est une autre histoire…

 

Le retour vers Skikda se passa normalement. À mi-chemin, nous fîmes une escale à Ghardaïa, ville où nous nous sommes décrassés dans un hammam ! Le chauffeur du retour était peu disert, mais serviable. Après une opération de désensablage en pleine chaleur de la mi-journée, il nous avait fait absorber des biscuits bien bourratifs avant de boire, en nous expliquant qu’ils serviraient d’éponge dans notre estomac, ce qui permettrait de garder plus longtemps le bénéfice de la boisson.

À notre arrivée dans notre école, les copains ont eu du mal à nous reconnaître tant nous avions changé, les cheveux avaient poussé et les visages avaient bruni, la peau s’était durcie et presque craquelée au contact de l’air et du soleil… Mais le soir de notre retour, les amis nous ont offert une fête de retrouvailles mémorable !     

 

20240221– Jour de Fête

 

 

Un extrait de « Le pas de la Demi-Lune » de David Bosc, racontant une fête improvisée, m’a rappelé la joie des enfants d’un village du Mali à l’arrivée de la pluie… et quelques autres souvenirs.

Nous avions passé la frontière entre l’Algérie et le Mali deux jours plutôt. Avec un ami avec qui j’avais enseigné dans une école d’agriculture proche de la ville de Skikda, nous avions décidé de traverser le Sahara pour aller jusqu’à Tombouctou. Nous avions trouvé un camion qui avait bien voulu nous prendre moyennant quelques dinars pour nous conduire d’Adrar, là où les routes s’arrêtaient, jusqu’à Gao, là où coule le fleuve Niger. Nous en étions encore fort loin, même si notre chauffeur ne prenait que quelques heures pour se reposer. Il avait un employé qui préparait les repas à base de viande et tomates séchées, accompagnés de riz ou de pâtes.

 

Lors du précédent arrêt, nous avions dû nous installer sur les sacs de dattes que nous transportions, car à cet endroit précis, il y avait des scorpions et il n’était pas question de s’allonger sur le sol comme nous l’avions fait les jours précédents.  Nous venions de nous arrêter dans ce village Malien où nous resterions quelques heures. Nous avions autour de nous tous les enfants qui avaient tapé dans leurs mains en nous voyant descendre du camion. S’ils étaient habitués à voir ces camionneurs traverser leur village, ils l’étaient beaucoup moins à voir de jeunes Européens.

Il régnait déjà une atmosphère de fête comme si notre présence insolite méritait d’être célébrée.

Le graisseur, c’était le nom donné à l’employé, car en plus de la cuisine, il assurait l’entretien du camion, le graisseur donc avait allumé un feu pour préparer ces galettes qui nous servaient de pain. Nous le regardions faire quand nous avons senti quelques gouttes. Aussitôt, les enfants avaient commencé à crier, puis à chanter et enfin à danser. Ils étaient vêtus de simples shorts, on distinguait les garçons et les filles à leur chevelure, courte pour les garçons, avec des petites nattes pour les fillettes.

Un instant, je pensai à ce film américain « Dansons sous la pluie ».

 

Les hommes adultes étaient sortis de leur maison et tous regardaient cette pluie tomber.

J’imaginai les jeunes Parisiens qui auraient pesté de constater que ce serait encore une journée sans soleil et je repensais à la joie que me procuraient les premiers flocons blanchissant le jardin de mon enfance.

Ici, même si on n'était plus tout à fait dans le désert, la pluie était si rare que lorsqu’elle arrivait, il fallait la célébrer. Des hommes avaient sorti leur tambourin. Ils s’étaient assis autour d’une sorte d’acacia maigrichon, ils commencèrent à jouer, ils accompagnaient une voix féminine qui chantait des louanges à Dieu pour le remercier d’avoir envoyé cette pluie miraculeuse.

Notre chauffeur avait acheté une petite chèvre, car nous étions à court de victuailles.  C’est le doyen du village qui la sacrifia en guise de reconnaissance, sous les applaudissements des enfants et les chants des femmes cachées dans leur maison. J’étais fasciné par ce spectacle, ému, mais conscient que je ne penserais pas à l’abattoir en mangeant une entrecôte !

 

Je me remémorai alors une autre fête donnée à l’occasion de la remise des diplômes dans cette école du nord de l’Algérie où j’avais enseigné pendant presque dix-huit mois. Les élèves étaient rassemblés devant l’estrade, à l’arrière, il y avait les parents d’élèves, je devrais dire les pères, aucune femme n’était présente ; et juste derrière il y avait nous les professeurs. À chaque nomination, il y avait des applaudissements et l’on pouvait observer dans les yeux des jeunes la joie d’avoir réussi et dans ceux de leur père la fierté de la réussite de leur rejeton. Nous avons eu droit pour célébrer l’événement à une sorte de cocktail avec des jus de fruits et un gâteau offert par le pâtissier de l’école. C’était une sorte de roulé avec de la crème au beurre. Il avait fallu absorber stoïquement cette chose horrible tant le beurre était rance, sans jamais manifester le moindre dégoût ! Il est vrai que conserver du beurre avec cette chaleur de début juin était un chalenge presque impossible.

  Nous avions regagné la cabine du camion, prêts à continuer notre aventure. Les enfants nous faisaient de grands signes. Le chauffeur nous annonça que nous transporterions le marabout du village. Le pauvre malheureux ne savait ce qu’il devait faire, implorer Dieu que la pluie continue pour assurer les récoltes à venir ou au contraire, qu’elle cesse afin que le camion ne s’enlise pas et qu’il puisse arriver à destination le plus vite possible.

Mon ami me dit en aparté qu’il boirait bien un whisky. Je haussai les épaules tant c’était incongru en ce lieu perdu, loin de tout.

Je repensai, alors, à une fête que nous avions fait avec des amis en Espagne où je suivais des cours d’espagnol dans une école internationale. À la suite d’un pari idiot, j’avais acheté un des trois petits cochons, sans doute celui qui vivait dans la maison faite de paille, et nous avions décidé de le baptiser le soir même. La sangria aidant, nous lui avons donné le nom de notre continent, « Europe », et chacun dans sa langue nous avions entamé « ce n’est qu’un au revoir mes frères… » Alors une jeune Anglaise m’avait entrainé sur une table où nous avons improvisé un flamenco pas très catholique…

 

La pluie avait rendu le sol boueux, le camion avançait difficilement, il fallait descendre placer des tôles sous les roues pour le sortir de l’ornière, repartir et recommencer quelques mètres plus loin. Nous aurions dû mettre six jours pour faire la traversée, il en a fallu treize, les provisions se raréfiaient, l’eau manquait, et pour ne pas mourir de soif, je me rappelle avoir bu de l’eau boueuse à même le sol. Enfin, nous sommes arrivés à destination. Nous avions appris à nous connaître avec le chauffeur et je suis sûr qu’il nous appréciait, mais il était pressé de se débarrasser de nous. Avec ce rallongement de la traversée, il y avait bien longtemps qu’il avait dépensé tout l’argent que nous lui avions donné pour nous transporter et nous nourrir. Son graisseur fut plus chaleureux et nous embrassa fraternellement.

Nous avons aussitôt cherché un hôtel, pour rattraper le retard de sommeil, et enfin nous laver. Nous n’avons pas eu le choix, il y en avait un et un seul ! Après, il faudrait trouver un autre camion pour nous conduire à Tombouctou, mais c’est une autre histoire…

 

Le retour vers Skikda se passa normalement. À mi-chemin, nous fîmes une escale à Ghardaïa, ville où nous nous sommes décrassés dans un hammam ! Le chauffeur du retour était peu disert, mais serviable. Après une opération de désensablage en pleine chaleur de la mi-journée, il nous avait fait absorber des biscuits bien bourratifs avant de boire, en nous expliquant qu’ils serviraient d’éponge dans notre estomac, ce qui permettrait de garder plus longtemps le bénéfice de la boisson.

À notre arrivée dans notre école, les copains ont eu du mal à nous reconnaître tant nous avions changé, les cheveux avaient poussé et les visages avaient bruni, la peau s’était durcie et presque craquelée au contact de l’air et du soleil… Mais le soir de notre retour, les amis nous ont offert une fête de retrouvailles mémorable !     

21 février 2024

Photo de Brice Brown sur Unsplash

 

 

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