Le vingt-deux à Asnières… par Bernard Delzons
Piste d'écriture: au téléphone.
Dans le village où mes grands parents passaient les mois d’été, il n’y avait qu’une possibilité pour téléphoner. Il fallait aller dans une maison où la propriétaire, faisant office d’opératrice, manipulait toute une série de fiches pour vous mettre en communication avec la personne que vous souhaitiez joindre. Je trouvais ça merveilleux avec mes yeux d’enfant. Ma famille était plus circonspecte, sachant que tout ce qui serait dit pourrait être répandu dans le village, enjolivé, dramatisé ou agrémenté de commentaires plus ou moins flatteurs.
Quelques années plus tard, le nombre d’utilisateurs ayant considérablement augmenté, il était parfois devenu difficile de joindre un correspondant, ainsi que le racontait Fernand Raynaud dans son célèbre sketch « Le 22 à Asnières ».
Je devais avoir un peu moins de quinze ans dans les années soixante, quand mon père a fait installer le téléphone à la maison. Il y avait un combiné dans notre salle de séjour, mais un autre chez ma tante qui habitait à l’étage du dessus. Si la ligne était libre, elle pouvait ainsi appeler de son côté, mais on pouvait aussi correspondre d’un appartement à l’autre sans payer aucune communication. Elle n’utilisait que rarement l’appareil, mais l’un de ses visiteurs régulier, lui, ne s’en privait pas. Mon père ayant refusé qu’il le rembourse de quelque façon, c’est moi qui recevais, en guise de compensation, un billet de temps à autre.
Étudiant à Toulouse, je n’ai pas le souvenir d’avoir appelé mes parents, sauf en cas de nécessité extrême. On s’écrivait encore à l’époque ! Quand je suis parti en coopération en Algérie, les communications étaient encore très chères, si bien que je n’ai dû leur téléphoner que pour Noël ou une ou deux fois pendant une longue grève de la poste française.
Plus tard, arrivé à Paris, j’allais à la poste pour les appeler. Je me rappelle qu’il y avait des cabines où les communications étaient moins chères que d’autres. C’est par pur hasard que j’avais découvert cela, mais je ne sais plus exactement comment.
Enfin, j’ai fait installer ma propre ligne et j’ai alors cessé d’écrire… On raconte tellement plus de chose en quelques minutes que dans une lettre même longue, sans compter que les réactions de l’interlocuteur relancent la conversation, donnent une nouvelle idée, une nouvelle anecdote.
Je me souviens d’une tante dont le chat jaloux ne supportait qu’elle téléphone et qui lui sautait dessus, toutes griffes dehors, depuis le fond du couloir où le combiné était installé !
Pourtant, je n’ai jamais tellement aimé ce moyen de communication avec des inconnus, que ce soit pour demander ou donner des explications, émettre des réserves, des remarques. A la voix, on imagine l’interlocuteur et j’ai bien parfois été surpris en découvrant la tête de tel ou tel alors que je le rencontrais pour la première fois après plusieurs échanges téléphoniques. Et quelques fois, on en arrive à des situations gênantes, comme quand j’avais remercié une dame en lui disant « Monsieur » à cause de sa voix rauque et grave !
Un jour, je me suis offert un répondeur sur lequel je pouvais laisser un message assez long ; je me suis amusé à enregistrer un début d’histoire en suggérant à la personne de rappeler pour connaître la suite. Cela passait très bien en famille, mais mon chef de l’époque n’a pas apprécié de tomber sur une recette de cuisine quand il m’avait appelé pour un problème informatique. Puis les répondeurs ont été intégrés au combiné, et le message d’annonce réduit à une simple phrase : j’ai dû me résoudre à ne plus jouer.
A l’époque le téléphone était raccordé avec un fil, mais nous étions libres de répondre ou pas. Aujourd’hui, avec les smartphones, il n’y a plus de fils physiques, mais vous êtes pistés avec un fil d’Ariane invisible. Au travail d’abord, avec un téléphone professionnel permettant de vous joindre jour et nuit. Il y a certes des côtés positifs, permettant par exemple de confondre un criminel, mais qui a besoin de savoir que j’étais boulevard Richard-Lenoir hier soir après vingt-deux heures ?
L’usage d’internet est encore venu chambouler les communications. Je trouve qu’un texte écrit est toujours plus précis qu’un message oral. Mais la multiplication des courriels a rendu leur lecture chronophage, sans compter qu’on peut louper un message important perdu au milieu d’une foule d’autres sans importance. L’entreprise où je travaillais avait dû rédiger un manuel de bonne conduite pour limiter les destinataires aux seules personnes concernées, et la taille des textes en ne donnant que l’essentiel…
On est traqué par la publicité, la moindre recherche sur internet et vous recevez des propositions d’articles plus ou moins proches de ce que vous avez cherché. Si on mesurait le temps passé à supprimer les messages indésirables, on serait surpris j’en suis sûr.
Au nom de la liberté d’expression, les réseaux sociaux laissent passer trop de choses horribles, d’autant que l’anonymat permet l’envoi de message haineux de propagande de toute sorte, auquel s’ajoutent maintenant les « Fakes news » et le rançonnage. Comment s’y retrouver, entre les faux et vrais sites ?
Maintenant, quand le téléphone sonne vous savez qui est l’appelant pour peu qu’il soit dans votre répertoire. J’aimais bien découvrir, au seul son de sa voix, si je connaissais la personne ou non, et adapter ma réponse, familière ou professionnelle.
Encore faut-il se déconnecter de temps en temps pour éviter des conversations ubuesques.
Depuis un super-marché
-Lui : je suis dans le rayon des pâtes, je ne sais pas lesquelles prendre.
-Elle : Lustucru trois minutes de cuisson.
-Lui : Il y en a huit sortes !
-Elle : les torsadées.
-Lui : colorées ou non ?
-Elle : Finalement, prends plutôt les Panzanis, les enfants préfèrent.
Depuis l’étage d’une maison
-Lui : Chérie je ne trouve pas mes chaussettes !
- Elle : si, tu les avais rangées, regarde sous le lit.
- Lui : des propres dans la valise…
- Elle : elles étaient encore mouillées, regarde dans le sac à côté de l’armoire.
Dans la rue
- Lui : je ne te vois pas !
- Elle : devant Pier-Import.
- Lui : tu es habillée comment ?
- Elle : ma doudoune verte !
- Lui : Avec un bonnet, pourquoi tu ne me l’as pas dit ?
- Elle : Et ta casquette, c’est nouveau ?
Je préférais l’usage passé, où je m’installais confortablement dans mon fauteuil et appelais ma mère. Il fallait prévoir un long moment mais c’était chaleureux, et elle me faisait partager toutes les nouvelles de la famille sans jamais dévoiler un quelconque secret.
Je me souviens de ce jour où, au cours d’une de ces interminables conversations téléphoniques, après de multiples hésitations, elle m’a avoué que son jardinier lui avait fait une déclaration d’amour. Elle en était toute remuée et perturbée, d’autant qu’elle n’éprouvait pas les mêmes sentiments à son égard. Elle avait alors près de quatre-vingt-cinq ans, et lui au moins une vingtaine d’années de moins. Elle se demandait ce qui avait pu lui faire croire qu’elle pourrait être intéressée. Certes, elle lui faisait de petits cadeaux à l’occasion d’une fête ou d’un service rendu, une bouteille de vin, un reste de gibier, quelques revues, mais c’était sans aucune arrière-pensée de sa part. C’est en évoquant le souvenir de mon père qu’elle avait répondu négativement aux avances de cet homme. J’ai tenté de dédramatiser la situation, qui était finalement assez drôle. Alors elle a fini par le raconter au reste de la famille, au téléphone bien entendu !
Photo de Annie Spratt sur Unsplash